Sérieusement? Quelle idée de venir se les geler dans un endroit pareil?
Même en été, il faisait froid dans la cité nordique. La neige tombait souvent à gros flocons et les vents du Nord étaient les plus glacials qui soient. Un bon gros manteau était toujours le bienvenu. Bon lorsqu'on y réfléchit, mieux valait y faire un tour pendant les journées estivales. En hiver, n'essayez même pas de vous balader comme le ferait Cerbère en cette période chaude de l'année. Sous forme humaine, il vagabondait dans les rues, au hasard. Comme à son habitude, il poursuivait ses recherches une fois de plus dans la cité. Oui… Ca faisait longtemps qu'il cherchait son maitre Hadès. Il ne savait toujours pas où le Seigneur des Enfers se trouvait ni s'il allait bien. Quoique… Le molosse infernal avait déjà entendu quelques rumeurs à son sujet, mais rien de bien enrichissant puisqu'il était toujours en train de le chercher. Le revoilà donc en ville, tentant de dénicher des traces du passage de son maitre.

Le corps humain était vraiment pathétique…
Même avec des vêtements, il parvenait toujours à avoir froid. Enfin… Il fallait dire que le chien des Enfers n'était pas le mieux habillé des habitants de la ville. Un pantalon troué, un t-shirt presque en lambeaux, une paire de basket usée et une simple veste à peu près en bon état l'habillaient. Il gardait ses mains dans ses poches, bien au chaud. Cerbère aurai pu avoir quelque chose de plus épais mais l'argent ne poussait pas sur les arbres. Et vu son état – physique e psychologique – il lui était plutôt difficile de trouver un travail. Il frissonnait plus souvent qu'il ne voudrait, détestant cette cité et ses températures aussi basses. Pourtant, il n'y avait pas de neige et le temps était plutôt clément depuis une semaine. Il n'empêche que les nuits restaient fraiches. Un peu de chaleur ne lui aurait pas déplu… Mais bon, ce n'était pas le moment de paresser au coin d'un feu…

Le chien des Enfers préférait marcher pour l'instant, histoire de se réchauffer. La nuit était déjà bien entamée, mais ce n'était pas encore l'heure de dormir pour lui. Là, il vadrouillait dans un quartier qu'il avait peu l'habitude de fréquenter. Cerbère s'approchait rarement des maisons, ne voulant pas être prix pour un voleur en maraude autour des bâtiments. Cependant, il avait décidé de s'en venir observer le quartier résidentiel d'un peu plus près. Il n'avait jamais pris le temps d'inspecter les environs. Peut-être que son maitre habitait dans l'une d'elles, qui sait? Le canidé devait faire tout de même attention à ne pas se montrer trop intrusif ou observateur lorsqu'il s'arrêtait près d'une baraque. Ce qui était d'autant plus difficile dès que sa tête de droite décidait de s'en mêler:

Ce sont des belles maisons dans le coin! On pourrait aller en visiter une! Ce serait chouette!

Cerbère grogna, ce qui fit taire la première tête à avoir parlé. Visiblement, la gauche ne semblait pas d'accord et fit rapidement savoir son humeur à ses deux autres frères en grognant une fois de plus. Les dents serrées, elle commençait en avoir marre de chercher. C'était comme ça tous les jours… Boudeuse, elle avait juste envie de s'installer dans un endroit chaud et de grignoter des os. Le soir, c'était toujours la même rengaine:

J'en ai marre… C'est toujours pareil! Jamais de traces, pas d'odeur, moins de rumeurs… Rien!

Ne dis pas ça! On a déjà trouvé des pistes!

Le chien bougonna encore avant de changer de trait. Il soupira, exaspéré. Enfin… c'était plutôt l'humeur de la tête centrale. Sa jumelle de gauche avait beau ramagé le même discours défaitiste tous les soirs, elle était la première à vouloir se mettre en route le matin pour retrouver Hadès. Elle changeait d'avis comme de chemise, c'était exaspérant à la longue! Mais bon, au moins, cela voulait dire qu'aucun des trois ne perdait espoir. De toute façon, la gauche était connue pour ses sauts d'humeur, alors pas la peine d'en faire tout un plat si elle était une fois de plus pessimiste. La centrale la laissa donc bougonner. La plus enthousiaste restait tout de même la droite qui s'émerveillait de la moindre chose. Heureusement qu'il n'y avait personne dans la rue à cette heure-ci. Sinon il aurait croisé un type dont le visage changeait d'humeur toutes les trente secondes: joie, sérieux, ronchon, émerveillement, exaspéré, colère… Et puis l'hystérie…

Chat! Chat? Quoi chat?!

Cerbère fixa le trottoir de l'autre côté de la rue, plus précisément le matou qui se déplaça avec nonchalance. Un chartreux, un très beau félin d'après les critères humains. L'un le regarda avec dédain, n'aimant pas les chats. L'autre l'observait sans vraiment y faire attention, préférant se concentrer sur les maisons environnantes. Mais le dernier… Que dire de celui-là… C'était un peu comme… un cadeau tombé du ciel. Oui, c'était un chat… Mais un chat bon sang! Et quoi de plus amusant que de poursuivre les chats! Sans laisser le temps aux deux autres de riposter ou de dire quoi que ce soit, Cerbère s'élança vers le chat sous la directive de la droite.

Chat!

Horrifié, le félin demanda pas son reste et fila à toute patte en feulant. Les vaines tentatives de fuite du chat et ses petits cris désespérés ne firent qu'attiser l'amusement du chien, au grand damne de ses deux frères. Ceux-ci ne trouvaient absolument pas ce genre de comportement amusant, surtout qu'il allait se faire remarquer à courser un matou en aboyant. Et pas moyen de le stopper en plus!

Le chartreux se faufila entre les branches d'une haie qui n'arrêta absolument pas le molosse. Bon, certes… il fut un instant coincé devant cet amas végétal, ne sachant pas par où passer. Mais la barrière naturelle ne le freina pas longtemps, d'autant plus qu'elle n'était pas spécialement haute. Sans attendre, Cerbère s'élança à l'assaut de la haie, toutes griffes dehors. Grondant, il se débattit contre les branches, les feuilles et les racines. Il se ramassa des écorchures sur les parties exposées de sa peau et parvint même à avoir de petites coupures sous son t-shirt, la végétation paraissant plus piquante que jamais. Il n'empêche que le canidé se retrouva de l'autre côté, dans le jardin d'une de ces grandes maisons du quartier résidentiel. La haie était partiellement en charpie, ayant laissé quelques feuilles dans la chevelure de son assaillant, témoin de leur combat. Il chercha ensuite le chat du regard pendant que ses deux frères essayaient tant bien que mal de retrouver un peu plus de liberté:

Non, mais t'es malade! Gamin débile! Tu veux nous faire tuer!

Il a raison! On ne devrait pas être là!

Chat!

Le félin en question se cacha dans un buisson présent dans le jardin. Cerbère s'apprêta à bondir en direction de sa cachette lorsqu'un grondement sourd sortit de sa gorge. Alors qu'il s'élança, ses jambes se pétrifièrent d'un coup, refusant d'aller plus loin. Ce fut la chute assuré! L'humain s'étala au sol à en manger l'herbe parfaitement taillée. Fini les bêtises! Les deux frères avaient pris le contrôle des membres postérieurs, plus moyen d'avancer. La tête de droite se mit alors à rager, faisant un caprice comme un enfant en bas âge:

Je veux jouer! Lâchez-moi! Je veux le chat!

La gauche se mit aussitôt à riposter, grondant:

Si je pouvais, je te boufferai le museau! Crétin!

Eh bien tu ne peux pas, nah!

Tu ne perds rien pour attendre!

Cerbère soupira, commençant à avoir mal au crâne:

Vous allez vous taire! Si ça continue, vous allez réveiller tout le quartier! Fermez-la!

Si on ne connaissait pas Cerbère et ses trois têtes, on aurait dit un malade mental. Eh oui… Toute personne extérieure à la dispute pourrait croire qu'il s'agissait d'un fou qui s'engueulait avec lui-même. Certes, avec trois intonations de voix différentes, mais un type qui s'insulte lui-même restait déjà louche. Il n'était pas un peu schizophrène celui-là?

Entre l'un qui voulait le chat pour lui, l'autre qui grognait contre les gamineries du premier et le dernier qui était désespéré de leur comportement à tous les deux, c'était plutôt la galère… Trois dans un même corps, ou plutôt trois dans la même tête… Il n'y avait rien de pratique à cette situation. Et si au moins, chacun y mettait du sien, tout irait beaucoup mieux. Or, en ce moment, c'était plus du chacun pour soi que de la solidarité. Voilà pourquoi Cerbère se retrouvait souvent dans des situations cocasses voire improbables. Mais là, toute cette histoire commençait à sentir mauvais… Et il ne s'agit pas de l'odeur corporelle du chien des Enfers…

Un vif éclat de lumière apparut soudain.
Ce fut comme un flash éblouissant. Surpris, Cerbère dut se cacher les yeux à l'aide de son avant-bras, trop aveuglé pour y voir quelque chose. Et la réverbération de la lumière sur le tapis blanc lui donnait encore plus mal aux yeux. Autant les fermé complétement, le temps de s'y habituer. Au moins, cet éclairage avait eu le mérite de faire taire ses deux frères. La tête centrale put enfin de se rendre compte de la situation dans laquelle il se trouvait. Son corps était étalé dans la neige, eau glacée qui lui paraissait subitement beaucoup plus froide maintenant qu'il avait alerté le propriétaire de la maison. Le molosse papillonna plusieurs fois des paupières pour que ses yeux s'habituent à tant de luminosité. Après quelques minutes qui lui parurent interminables, il put enfin détailler le propriétaire de la maison: un homme, cheveux bleus, mince, pas spécialement grand, l'air un peu fatigué. Les traits de son visage ne laissaient pas paraitre de la colère, mais plutôt de la surprise et de la méfiance. Il faut dire… trouver un inconnu dans son jardin, il y avait de quoi avoir quelques réticences à l'approcher. Le chien comprenait tout à fait si l'homme venait à le chasser.

Un mouvement attira son attention.
Le chat qu'il poursuivait tout à l'heure venait de sortir de sa cachette et filer droit vers la porte qui était resté entrouverte après que l'homme soit sorti de chez lui. Subitement, son envie folle de suivre encore le matou le reprit. Sa tête de droite ne put s'empêche de pousser un gémissement, la main tendue en direction de la porte, pleurnichant.

Chat!

Il ne pouvait pas se taire deux minutes celui-là? En plus, son attitude devait vraiment avoir l'air bizarre aux yeux de l'homme aux cheveux bleus. Et pire… Il avait fallu que la tête de gauche vienne mettre son grain de sel. Elle devait toujours intervenir lorsque son frère disait quelque chose. Cela en devenait pénible… Surtout lorsqu'on avait quelqu'un en face de soi et qui ne comprenait rien à l'affaire…

Arrête de pleurnicher, gamin!

Cerbère serra les dents et ramagea quelque chose qui se voulait seulement compréhensible de ses deux autres têtes, histoire que l'homme ne le prenne pas pour un cinglé:

Mais fermez-la tous les deux!

Bon… Le canidé devait bien l'avouer… Ne pas passer pour un fou, c'était un peu raté. Se parler à soi-même n'était jamais bien perçu par les humains, encore moins lorsqu'on prenait trois intonations de voix différentes. Rattraper le coup serait difficile, encore plus si ses deux autres âmes intervenaient sans arrêt comme elles avaient l'habitude de faire. Un frisson parcourut son corps, lui rappelant qu'il était toujours étalé dans la neige. Cerbère se redressa alors et retira les copeaux blancs de ses vêtements ainsi que ceux qui s'étaient logés dans ses cheveux. Cela ne le rendait pas plus présentable, mais au moins, il évitait que la neige ne mouille ses vêtements en redevenant liquide sous l'action de la chaleur. Être mouillé par un temps aussi glacial, c'était signé son arrêt de mort. Il jeta un coup d'œil à la haie pour voir les dégâts. Il avait un peu charcuté la barrière végétale mais rien de grave. Cela repousserait assez rapidement, on ne verrait plus rien. Son regard revint ensuite sur le propriétaire de la maison, ouvrant enfin la bouche pour parler après plusieurs minutes de silence:

Désolé d'être entré chez vous…

Quelle piètre excuse… Mais bon, Cerbère n'avait rien d'autres à dire pour le moment. Au moins, il s'excusait, c'était déjà un bon point pour lui. Il sentait bien pourtant que sa tête de gauche n'était pas d'accord, elle qui était fière et presque immorale. Cependant, là, elle avait très bien compris qu'il valait mieux se taire tant que le chien était en face de ce type. La gauche aurait tout le temps de ronchonner une fois parti de ce jardin.

Ses yeux survirent le regard de l'inconnu et se posèrent sur la haie éventrée.
Oui… Pas très joli en tout cas… Bon, les barrières végétales comme celle-ci repoussaient rapidement. Mais cela ne justifiait pas le fait que le molosse venait d'entrer sur la propriété privée d'un particulier et quand plus, il venait de déchiqueter sa haie. Tout ça pourquoi? Pour poursuivre un chat par pur jeu… Cela ne l'étonnerait pas que l'homme de la maison appelle la police et le fasse déguerpir de son jardin. Surtout s'il le prenait pour un échappé d'asile. Cependant, sa décision finale prit un peu le chien au dépourvu.

Quoi? Il ne le chassait pas?
Eh bien… Quel étrange personnage! Cerbère n'aurait jamais pensé qu'un humain puisse se montrer aussi peu rancunier. Lui qui était le gardien des Enfers, il s'en prenait à tout être vivant qui essayait de passer dans le Royaume d'Hadès. En même temps, c'était son travail. Pourtant, il avait horreur qu'un mortel ou un demi-dieu vienne mettre les pieds sur son territoire. C'était probablement pour cette raison qu'il ne comprenait pas vraiment l'attitude de cet homme. Le canidé aurait sûrement déjà sauté à la gorge de l'intrus sans se soucier s'il s'agissait d'un ami ou d'un ennemi. Il avait franchi la limite à ses risques et périls. Or, ici… Le propriétaire l'invitait… à rentrer chez lui? Comptait-il réellement lui offrir la chaleur de son logis? De la nourriture et de l'eau? Il serait même prêt à passer un appel à l'une de ses connaissances? Tout cela était très alléchant. Cerbère avait faim. Il n'avait pas d'argent pour s'acheter de quoi se nourrir pendant son bref séjour en ville et manger les humains était la façon la plus débile de s'attirer des ennuis. Pire encore, rameuter les chasseurs de Créatures. Il avait soif aussi… Et dévorer la neige pour s'hydrater n'était pas une pratique très agréable. C'est vrai qu'il faisait froid en plus… L'invitation était décidément très attrayante, sauf la dernière proposition. Le chien ne savait pas comment utiliser un téléphone, il n'en avait pas lui-même. Et de toute façon, il n'avait personne à qui parler, personne à appeler. Était-ce un piège au final?

La tête du milieu n'eut pas vraiment le temps de s'attarder sur la question. Ses deux frères venaient de réagir instinctivement aux dires de l'homme, passant de la brute épaisse au gamin mignon en quelques phrases:

Blessé? Tu me prends pour qui?! Ce ne sont que des égratignures!

Vous avez des gâteaux au miel? J'adore les gâteaux au miel!

Pitié! Qu'ils se taisent un peu!
Pas moyen de réfléchir tranquillement avec ces deux-là qui prennent la parole sans demander l'avis des autres. Cerbère soupira. Piège ou pas? Il commençait vraiment à faire froid dehors. Pour l'instant, l'homme ne semblait pas animer de mauvaises intentions. Son sixième sens animal ne sentait aucune animosité dans ses paroles. Peut-être qu'il pouvait se permettre de loger chez l'habitant, histoire de passer une partie de la nuit au chaud. Le chien ne tenait à pas à finir congeler par un temps pareil. Alors autant profiter de cette proposition. Au pire, si le propriétaire de la maison se montrait finalement dangereux, rien ne l'empêcherait de déguerpir voire de se transformer pour se défendre et montrer qui est le plus dangereux des deux. Profitons alors! Cerbère était un animal après tout. Et comme toute bête qui se respecte, l'opportunisme faisait partie de ses choix.

Un peu de chaleur ferait du bien!

Et des gâteaux! De l'eau! De la viande! Oh! Et un bain! Ah non! Pas de bain! Je hais les bains!

Fermez-la!

Cerbère gronda sous la directive de la tête centrale, portant sa main à son front.
Qu'est-ce qu'ils pouvaient être bavards! Parlant tous en même temps comme ça donnait naissance à des migraines atroces. Ce corps humain n'était vraiment pas pratique. Vivement que le chien puisse retourner en forêt! En attendant, Cerbère préféra laisser l'individu en face de lui répondre, histoire d'être certain qu'il veuille bien le laisser rentrer chez lui. Il avait beau être un animal, il n'aimait tout de même pas s'imposer comme ça.

Une pointe de déception se fit sentir.
Bien que ce ne soit la demande que d'une seule des têtes, les deux autres adoraient également ce genre de pâtisseries. Autant dire que finalement, Cerbère tout entier était déçu de ne pas pouvoir se régaler de ces gâteaux. Voilà bien longtemps qu'il n'en avait plus mangé. Même le gout de miel devenait de moins en moins connu de ses papilles. Il faudrait qu'il se trouve un peu d'argent, histoire d'en acheter et d'assouvir cette envie. Le chien des Enfers dut mettre cette idée de côté, l'homme en face de lui venait de l'inviter à rentrer chez lui.

Un moment d'hésitation le figea. D'un coup, cette proposition lui semblait louche.
Ce type le laissait bien vite rentrer chez lui alors que le molosse venait de saccager une partie de son jardin. Il était bien sympathique pour un humain alors que tous ceux qu'il avait déjà rencontrés jusqu'à présent étaient rarement heureux de le voir débarquer. Si ça ne tenait qu'à lui, il ferait demi-tour pour éviter de tomber dans un éventuel piège. Mais avec un temps pareil, Cerbère ne pouvait que geler s'il restait dehors. Et trouver un abri à une heure aussi tardive était plutôt risqué. Pas trop le choix… Il passerait bien la nuit dans cette demeure. Il devait juste se montrer prudent…

Sans un mot, le canidé suivit son hôte à l'intérieur. Il l'observa refermer la porte derrière eux avant de porter son attention sur le contenu et la décoration de la maison. La chaleur y était douce et rassurante.  Voilà déjà de quoi satisfaire le toutou des Enfers. Un coin dans une pièce serait parfait pour lui, il ne demandait pas plus. Il préférait rester discret et ne plus trop s'attirer d'ennuis. Son regard se posa sur les différentes peintures, intéressé par la culture artistique de cette époque. C'était fort différent de ce qu'il connaissait pour le peu qu'il en avait vu en étant aux Enfers. Il n'avait pas accès à ce type d'œuvres. En général, elles étaient conservées dans les musées. Et qui dit exposition disait forcément dépense d'argent. Donc autant dire que le chien ne voyait pas beaucoup de peintures.

C'est moche…

Moi, j'aime bien!

Cerbère sortit de sa contemplation lorsque son hôte recommença à parler. Il se retourna vers lui en entendant son prénom et s'il désirait quelque chose. Des tas d'idées fusèrent dans son esprit, venant de ses trois âmes. Manger, boire, dormir, une couverture, retrouver Hadès, trouver le chat pour l'embêter un peu, mâchouiller un os… Oui, vraiment tout… Ses trois têtes avaient envie de tellement de choses… Cependant, elles allèrent aux plus essentielles:

De la viande! Beaucoup de viande! On meurt de faim! Et de l'eau!

Exigeant le cabot! Mais bon… Lorsqu'on trainait en ville depuis des jours sans rien à se mettre sous la dent, il arrivait toujours bien à un moment où son estomac n'en pouvait plus. Et manger dans les poubelles, ce n'était pas ce qui plaisait le plus à Cerbère, même en étant un chien. La nourriture humaine en décomposition n'était pas ce qu'il y avait de plus ragoutant. Quoique… Les pizzas, ce n'était pas mal. Mais passons, le molosse préférait la viande fraiche et sanglante. Et les gâteaux au miel, ne les oublions pas!
En revanche, la politesse avait peut-être un sens pour le canidé. Lorsqu'il gardait les portes des Enfers, il déclinait toujours son identité face aux héros qui se présentaient à lui et qui lui donnaient la leur en échange. Cependant, il se voyait mal dire à cet homme qu'il était Cerbère, gardien des Enfers. Ca viendrait rajouter une couche à cette histoire de fou échappé d'un asile. Donc autant lui donner un prénom au hasard:

Matt! Jake! Simon!

Sérieusement… Ils étaient tous obligé de répondre en même temps? Ca ne faisait pas trop crédible… Enfin soit… Maintenant que ses trois têtes venaient de lâcher un nom, Henry n'avait qu'à en choisir un des trois. De toute façon, aucun de correspondait à leurs véritables appellations.  Cerbère se détourna un peu, cherchant du regard un coin où s'installer. Il se mit rapidement en mouvement pour aller s'assoir à côté d'un radiateur. Que c'était beau un peu de chaleur! Le canidé soupira d'aise, content finalement d'être rentré dans cette maison. Son regard se posa à nouveau sur Henry pour répondre à sa dernière demande:

Les taxis sont chers!

Et je n'ai connaissance d'aucun numéro… Pas d'amis…

Et j'ignore où sont les membres de ma famille…

Cerbère se demandait quand même où avait bien pu passer sa famille. Cela faisait tellement longtemps qu'il les cherchait, en vain…

Qu'est-ce que cette peinture représentait pour lui?
Beaucoup trop de choses sans doute. Chacune des âmes de Cerbère avait une vision différente de cette œuvre. Déjà, l'un l'aimait, l'autre le détestait et le troisième restait septique quant aux intentions du peintre. Toute était une question de gout, mais là avec le chien des Enfers, difficile d'être vraiment clair sur ses ressentis et de donner un avis sans venir dire le contraire juste après l'avoir énoncé. Cependant, si on devait entrer un peu plus dans les détails, chaque tête avait vraiment sa propre opinion. Celle de droit appréciait, même si elle était loin quant à l'interprétation de l'œuvre. Pour elle, il y avait des animaux et des humains, ce qui était synonyme de nourriture. Oui… Chez, cela n'allait pas plus loin que les besoins primitifs. Bien qu'elle soit curieuse de ce que cette peinture représente, elle ne cherchait pas plus loin que son estomac. A moins que ce ne soit l'odeur de poulet cuit qui l'induise en erreur. Celle de gauche… Eh bien… Pour elle, c'était relativement simple: laid, moche, pas beau, mal fait, ça ne représente rien. Vous voyez le genre? Elle n'aimait pas. Et difficile de lui faire changer d'avis. C'était moche, un point c'est tout! Et pour la dernière tête… C'était probablement elle qui s'intéressait le plus à la peinture. Certes, elle n'aimait pas beaucoup les couleurs qui étaient assez monochromes à vrai dire. Aux vues du noir et du blanc, la scène devait probablement représenter quelque chose de peu glorieux, quelque chose de macabre. De plus, il y avait l'air d'y avoir beaucoup de mouvements et d'animosité dans cette œuvre. Le thème devait donc se rapprocher de la guerre ou d'un massacre. Mais Cerbère pouvait très bien se tromper sur ce point. Il préféra donc passer sous silence cette question. Y répondre tous les trois n'avancerait à rien et justifierait au mieux sa fausse schizophrénie. Cerbère lâcha juste une remarque, histoire de ne pas laisser son hôte en reste:

Trop compliqué à expliquer…

Le molosse reporta son attention sur la viande qui grésillait dans la poêle.
La faim commençait à se faire de plus en plus pressante. Son estomac grondait à n'en plus finir. L'odeur de la viande était tentatrice et devenait insupportable. Cerbère en avait l'eau à la bouche au point qu'il en était presque à baver. S'il ne se faisait pas violence, il se serait déjà jeté sur la nourriture et se serait empressé de la dévorer sans prendre en compte l'homme qui se tenait à côté de lui. Il devait garder des manières convenables s'il ne voulait pas paraitre plus bizarre qu'il ne l'était déjà. Et c'était compliqué de garder son sang-froid… Entre la tête de gauche qu'il fallait fuseler pour éviter un carnage dans cette cuisine et l'autre qui regardait la viande avec autant d'envie que son frère, la langue presque pendante… Celle du milieu avait réellement du mal à ne pas succomber à la tentation. Cerbère se passa la langue sur les lèvres, prêt à fondre sur la cuisse de poulet dès que son hôte lui donnerait le feu vert. Depuis combien de temps n'avait-il pas mangé pour en être réduit à être autant tiraillé par la faim? Quelques jours au moins… Il avait plutôt intérêt à retourner en forêt le lendemain matin pour retrouver des forces. Et surtout éviter de sauter sur le premier humain pour le bouffer.

Henry lui donna bientôt de nouvelles matières à réfléchir.
C'est vrai qu'il y avait toujours ce problème de nom. Il faudrait vraiment se trouver un pseudonyme pour ne pas reproduire la scène de toute à l'heure. Le mieux, afin qu'il n'y ait pas de jaloux parmi ses trois âmes, était forcément de trouver quelque chose qui allie leur nom respectif, à savoir allant de droite à gauche: Glyka, Enosi et Thymos. Pff… Plus facile à dire qu'à faire! Cependant, le chien des Enfers n'eut pas le temps de s'y consacrer plus de temps. Son attention fut attirée par la suite des paroles de l'homme. Cerbère plissa les yeux, n'aimant pas vraiment la tournure que prenait cette conversation. Ses frères s'empressèrent bien entendu de répliquer alors que le troisième préféra réfléchir à ce qu'Henry venait de leur dire. Pour ça, il laissa ses deux autres âmes répliquer autant qu'elles le voulaient, lui-même préférant se taire afin d'écouter et d'observer plus attentivement afin de déceler un piège ou toute autre entourloupe. Thymos gronda alors que Glyka prit son air le plus angélique pour parler, le tout sortant exactement de la même bouche.

Qui tu traites de cinglé?!

Ça existe ce genre de créatures?

Le cinglé, c'est celui qui croie en ses animaux parlant qui imitent les humains!

Ce serait génial d'en rencontrer!

Est-ce que cet homme était au courant pour les créatures comme lui? Pour les Dieux ou encore les vampires? Ses paroles laissaient présager qu'il savait au moins pour les créatures. Il devait probablement avoir rencontré un lémure ou un être du même genre. Enosi garda son regard braqué sur lui lorsqu'il avait possession de leur corps, le regard se faisant un peu plus acéré. Ce type lui parut soudainement louche. Est-ce qu'il était à craindre au final? Était-il réellement humain au moins? Ou est-ce qu'une créature se cachait derrière ce visage? Il avait plutôt intérêt à garder un œil sur lui et à être vigilant cette nuit. Mais brève de bavardage! Cerbère avait vraiment faim. Et cette cuisse de poulet n'allait plus cuire très longtemps. La tête centrale prit la parole, interrompant ses deux frères dans leur discours:

Je veux bien encore un verre! Et je pense que le poulet est assez cuit! Je meurs trop de faim que pour qu'il me nargue encore longtemps dans sa poêle!

Un changement de sujet restait le bienvenu. Henry se doutait de quelque chose, c'était certain. Le flair de Cerbère ne le trahissait jamais quand il s'agissait d'une situation pareille. Alors autant faire attention à chacune de ses paroles, chacun de ses gestes et actes. Ce n'était certainement pas le moment de se trahir pour une bêtise. Il n'empêche que la tête du milieu donna son avis sur cette histoire de créature magique, essayant ainsi de l'avertir que le sujet était clos pour lui:

Il ne manquerait plus que je croie en ce genre de bestiole pour être défini fou bon à interner… Je reste septique quant à votre histoire…

Et surtout méfiant désormais envers ce Henry…

Si ça ne tenait qu'à lui, Cerbère laisserait probablement sa tête de gauche gérer toute l'affaire.
C'était la plus hargneuse de toutes. Il n'avait qu'une seule envie, remettre cet humain à sa place. Il avait beau être leur hôte, cela ne lui donnait pas le droit de paraitre si hautain. Il l'aurait bien déchiqueté si la tête centrale ne bridait pas ses intentions belliqueuses. En temps normal, Enosi l'aurait laissé s'exprimer à loisir. Mais là… Il sentit bien qu'il y avait quelque chose qui clochait. Henry avait beau ressemblé à un humain, il ne l'était pas. C'était la conclusion à laquelle il en était venu. Cet homme avait beaucoup trop d'assurance et était certain de ses capacités. Certes, il ignorait probablement avoir affaire à une nymphe, mais il osait tout de même se mettre en le molosse et son repas. Et il lui faisait même du chantage maintenant! Non, ce n'était plus vraiment le même que dans le jardin… Ou alors, il cachait son jeu depuis le départ…

Le chien des Enfers devait se montrer un peu plus respectueux. Certes, il commençait à aime ce type de moins en moins. Mais s'il voulait avoir de quoi se nourrir et un logement chaud pour la nuit, il devait se garder de toute impolitesse et de tout acte déplacé. Mais bon, il avait faim. Cette odeur devenait vraiment insoutenable. Et les grésillements de la peau du poulet étaient irrésistibles. Cerbère avait du mal à se concentrer sur autre chose que la viande. Et ce type qui barrait la route menant au repas. Cela le faisait grincer des dents. Il se retenait vraiment de se jeter sur Henry, de le pousser et d'engloutir cette cuisse comme un malpropre.  C'était ce que Thymos et Glyka aimeraient. Mais la tête centrale n'était absolument pas d'accord de laisser leur instinct animal dicter leur conduite. Et elle avait du mal à l'admettre, mais demander poliment était la meilleure des manières pour avoir à manger. Cerbère retint un soupir, lâchant finalement:

Je m'excuse… Juste que je n'ai pas mangé depuis un ou deux jours… Et la faim me rend nerveux…

Ses pensées revinrent assez vite à l'espèce de chantage que leur hôte venait d'exposer.
La nourriture et le logement avaient donc un prix en fin de compte. Finalement, Henry n'était peut-être pas si sympathique. Cerbère but tranquillement son verre jusqu'à ce qu'il n'y ait de nouveau plus rien. Il n'aimait pas trop que ce type s'intéresse d'aussi près à sa véritable nature. Avait-il vu clair dans son jeu ou alors était-il vraiment curieux? Il faut dire… Avec Glyka qui avait lâché leur véritable nom, c'était difficile de rattraper cette erreur. Surtout que leur hôte s'en préoccupait bien trop à son gout. Cerbère grogna, visiblement mécontent.

Depuis quand il y a un prix?

Sur ce point, la tête centrale devait bien avouait que son frère n'avait pas tout à fait tort.  Aucun de ses âmes n'était d'accord en réalité. Il lui semblait avoir été question de lui offrir l'hospitalité, pas de quémander ensuite des informations et de faire cette espèce de chantage. En plus, la demande n'était pas anodine, elle le concernait directement. Il fallait qu'il se sorte de ce pétrin. Au final, c'était bien une arnaque!

Essayez d'avoir d'autres personnes dans votre tête et on en reparlera après! Et Cerbère est simplement un surnom, rien de plus!

Maintenant, poussez-vous!

J'ai faim!

Je m'excuse d'avance…

Sans attendre la moindre réaction d'Henry, le canidé s'avança droit sur lui. Il le poussa sans brusquerie même si son appétit appelait à plus de violence. Cependant, Cerbère le fit dégager de son chemin sans difficulté, d'un simplement mouvement du bras et du poignet. Il n'avait qu'à pas rester planté entre lui et la nourriture. Il se serait bien jeter sur cette pauvre cuisse de poulet, mais la tête du milieu bridait ses deux frères. Elle sentait bien leur frustration et leur colère. Comme eux, elle avait très envie de manger. Mais si leur hôte restait vexé, leur situation n'allait pas s'améliorer, au contraire. Ce fut donc avec tout le mal du monde que le chien des Enfers se tourna vers Henry puis lui demander, poliment:

Pourrais-je au moins avoir des couverts et une assiette? S'il vous plait!

Encore avec cette histoire de nom…
Pourquoi tenait-il tellement à savoir son véritable nom? Ce type devenait vraiment agaçant avec cette question. Si cela ne tenait qu'à lui, Cerbère lui dirait la vérité. Cependant, il sentait bien que cet homme n'était pas comme les autres. En quoi était-il différent? Il n'en avait pas la moindre idée. C'était juste une sensation qui émanait de lui. Pas humain… Le chien des Enfers commençait sérieusement à se poser la question. Et si c'était le cas, il ne devait très certainement pas être une de ces créatures qu'il avait déjà vues. Son odeur n'était pas propre à cette race ni même son attitude. Ce qu'il était? Vampire? Dieu? Chasseur ou autre? Très bonne question… C'était vraiment difficile de savoir… Du coup, il devait s'en méfier comme la peste…

Le molosse préféra laisser la demande de côté pour le moment, reportant son attention sur la nourriture. Il fouilla dans le premier tiroir pour en sortir un couteau et une fourchette. Puis, suivant toujours les indications d'Henry, il prit une assiette dans l'armoire. Il mit ensuite la cuisse de poulet sur le morceau de porcelaine et coupa lentement un morceau malgré la faim qui se faisant ressentir de plus en plus. Il dut une fois de plus se faire violence pour ne pas se jeter sur la viande comme un animal. Oui, bon… Cerbère était un animal. Plus évolué, mais il en restait tout de même un. Mais là, sous forme humain, il ne pouvait pas se permettre de montrer qu'il était une bête affamée. Le canidé détacha un morceau de chair et l'amena jusqu'à sa bouche sans brusquerie, comme quelqu'un de civilisé. Le gout de la viande explosa dans sa bouche, régalant ses papilles. Il aurait mieux aimé manger cru, mais comme déjà dit, il n'allait ni faire son difficile ni jouer à l'animal. Son estomac ronronna de contentement, heureux d'avoir enfin quelque chose à digérer, aussi peu soit-il. Certes, ce n'était pas avec cette maigre cuisse de poulet qu'il allait être rassasié, mais c'était toujours mieux que rien. Le prédateur irait chasser demain, une fois revenu dans la forêt ou sur les terres dites dangereuses.

Cerbère continua de manger calmement.
Son regard se leva doucement de son assiette pour le poser sur Henry. Il n'en avait pas marre avec ses questions? Quel curieux! Et quelque chose lui disait que ce n'était pas de la simple curiosité… Instinct animal… Ça ne le trompait que rarement. La créature l'observa un bref instant avant de reposer les yeux sur sa nourriture. Il ne dirait plus un mot tant qu'il n'aurait pas fini de manger. Et vu l'allure à laquelle il dévorait son repas, même s'il mangeait plus ou moins lentement, il finirait assez vite. Surtout qu'ici, il ne pourrait pas savourer les os… Autant parce qu'il avait un type louche devant lui que parce que les dents humaines étaient beaucoup plus fragiles que ses crocs de canidé. La bête en question finit son repas tranquillement, contenant d'avoir pu se mettre quelque chose dans l'estomac. Il prit son assiette et ses couverts pour les déposer dans l'évier. Là seulement, il se tourna vers son hôte pour parler:

On ne nait pas tous normal!

Enosi sentait que ses deux autres frères s'étaient calmés maintenant que leur faim avait été rassasiée. Cependant, ils veillaient toujours au grain, écoutant avec intérêt la discussion de la tête centrale avec Henry. Ils savaient tous deux qu'elle était la plus logique et intelligente, qu'elle les sortirait de ce mauvais pas. Pourtant, Enosi savait très bien qu'ils ne se tiendraient pas à carreaux durant cette discussion. Ils n'avaient jamais su se tenir, alors il s'attendait à tout moment à les entendre répliquer. Donc, il en profita pour parlementer, puisqu'ils étaient sages tous les deux.

Franchement, la manière dont vous m'appelez m'est complétement égale! Allez trouver des noms farfelus si vous en avez envie!

Ça en énerverait probablement s'il venait à lui lâcher de surnoms débiles. Ah bien tiens, quand on parle du loup… Enfin, des loups...

Et pas des prénoms horribles comme Loulou, Pupuce ou Caramel…

Je n'aimerais pas avoir ce genre de prénom... Horrible...

Oui, les humains ont toujours eu l'art d'affubler les chiens de prénoms ridicules… C'était vraiment une honte que d'avoir une telle appellation. Lui, il était fier de s'appeler Cerbère, un nom de légende. Son maitre avait donné un nom à chacune de ses âmes. Elles étaient toutes honorées, surtout que ceux-ci symbolisaient leurs traits de caractère. C'est vrai que le molosse pourrait leur donner ses vrais noms. Personne n'était au courant. Les mythes et les légendes ne faisaient absolument pas référence à Thymos, Glyka et Enosi pour désigner Cerbère. Alors pourquoi pas prendre ce risque? De plus, lui avouer stopperait peut-être la curiosité de l'homme. Au pire, s'il en venait à le harceler, le chien pouvait toujours déguerpir. Même s'il n'en avait pas envie…

Mais si vous tenez à vraiment avoir nos noms… Je suis prêt à les donner si vous arrêtez avec vos questions… Et si vous répondez à la mienne! Une seule et unique demande contre trois noms!

Cerbère le fixa, prêt à dévoiler leur identité sans passer par la case Cerbère. Il suffisait que leur hôte accepte cette condition. Une question, ce n'était pas la mer à boire. Il ne devrait donc pas y avoir trop de problème au fait qu'il veuille bien lui répondre. En attendant, le canidé attendit patiemment qu'Henry se décide, ses deux iris toujours cloués sur sa personne.

Décidément, ce type ne lâchait pas le morceau.
D'autant plus que maintenant, il voulait que le chien des Enfers déguerpisse de chez lui. Il osait même le menacer en lui disant qu'il appellerait la police. Si ça ne tenait qu'à lui, le molosse reprendrait sa forme animale et le dévorait. Mais bon… En jetant un coup d'œil au plafond, Cerbère réalisa que celui-ci était bien trop bas. S'il venait à se transformer, il aurait très certainement le crâne dans les lattes du plafond, peut-être même les trois. Ce n'était donc pas une très bonne idée que de jouer de sa carrure dans cette maison. Il devrait donc s'en tirer sous sa forme humaine… Ce qui ne l'enchantait guère… La créature savait très bien qu'il était plus faible sous cette apparence, autant physiquement que mentalement. Être trois dans une seule tête pour un combat n'était pas un avantage… Et qu'est-ce que le corps humains est faible comparé à son propre corps! Pas assez endurant, pas assez rapide et limite au niveau des sens.

Appelez la police si vous n'êtes pas capable de nous mettre dehors!

Du Thymos tout craché… La situation était déjà assez tendue et lui il venait en rajouter une couche. Son caractère de bagarreur finirait pas les mettre en prison voir pire. Ce n'était certainement pas le moment de moisir dans un endroit pareil. Cerbère devait encore retrouver son maitre bien-aimé. Alors non, pas de bêtise pour l'instant… Mais lorsqu'on y réfléchissait, le canidé était déjà dans de beaux draps.  Avec leur hôte qui voulait appeler les autorités… Pas qu'il craignait réellement les policiers… Le temps qu'Henry passe son appel, Cerbère aurait très certainement déjà filé loin. Non, ce qu'il craignait le plus était le froid. S'il voulait encore rester un peu en ville, sa nature humaine en prendrait un coup. Et voir un énorme chien à trois têtes se balader dans les rues n'était pas prudent non plus. Pourtant, il ne tenait pas à retourner dans la forêt. Enfin pas tout de suite… D'autant plus qu'il avait quelque chose dans le ventre maintenant. Même s'il s'agissait d'un maigre repas, son estomac d'homme était rassasié pour quelques heures. Ce qui lui donnait le temps de chercher encore un peu avant d'aller chasser. Et le chien des Enfers devait bien l'avouer, la perspective de sa nuit au chaud qui s'envole ne lui plaisait pas… Mais avec ses deux frères, impossible de réfléchir à une solution convenable…

Il fait froid dehors! Je veux dormir au chaud!

On a pas le choix! Dans la neige!

Noooon... Pas la neige et le froid!

Les deux commencèrent à se chamailler, se traitant de tous les noms d'oiseaux possibles et inimaginables. La migraine revint rapidement, ce qui empêchait la tête centrale de se concentrer sur leur problème. Ses pensées se mélangeaient avec celles de ses deux autres compagnons jusqu'à former un amas inintelligible. Enosi ne savait même plus à quoi il pensait et commençait à avoir du mal à reconnaitre ses propres émotions. Heureusement que l'une d'entre ressortait du lot. Son agacement pour cette situation et pour la dispute des deux autres têtes était arrivé à son comble. Et sa patience avait aussi atteint sa limite. Cerbère gronda et rugit:

Fermez-la! Vos comportements ne nous aident pas!

Les deux en question cessèrent tout commentaire pour ronchonner chacun dans son coin. Cerbère se massa les tempes, la tête douloureuse suite à cette nouvelle dispute entre ses têtes gauche et droite. Le canidé resta silencieux un moment, le temps que la migraine passe avant de finalement poser à nouveau son regard sur leur hôte, plus perçant. Leurs noms en échange de la possibilité de rester au chaud… C'était vraiment tentant! Mais est-ce qu'il voudrait bien encore du molosse après les tensions qu'il y avait eu entre eux deux? Et si ce type appelait réellement la police, Cerbère serait peut-être fiché dans leur base de données et il ne pourrait plus remettre les pieds dans cette ville avant un moment. Ce n'était vraiment pas la meilleure solution… Surtout s'il voulait encore faire des fouilles pour retrouver son maitre. Bien que lui donner leurs noms ne lui plaisait guère, il devait bien admettre que cette manière garantissait sans doute le moins de problèmes par la suite. Cette possibilité de confort finit par avoir raison de lui. Le canidé soupira avant de finalement lâcher:

Le râleur, c'est Thymos! L'enfant, c'est Glyka! Et moi, c'est Enosi!

Si Henry n'était pas content avec la vérité, tant pis pour lui. Cerbère n'aurait plus qu'à quitter les lieux en laissant leur hôte sur sa faim et avec ses menaces qui n'impressionnaient nullement le chien des Enfers. Il n'empêche que Cerbère demanda, juste pour être sûr, les bras croisés:

Est-ce qu'on a le droit de rester ou est-ce que vous nous chassez malgré tout?

Décidément, ce type était bien étrange. Un brin lunatique peut-être?
Peu importait à Cerbère. Leur hôte avait eu ce qu'il voulait, lui permettant ainsi de passer la nuit au chaud. Dans tous les cas, les deux parties étaient contentes. Donc plus de tensions entre elles deux, la maison retrouvait son aspect paisible. Il n'empêche que l'homme lui avait tout de même intimé de déguerpir le lendemain matin. Cela allait de soi! Même pour le molosse. Ce dernier ne comptait pas rester plus d'une nuit dans la demeure d'un gars aussi bizarre. Comme voulu, il partirait au petit matin, lorsque les températures auraient un peu remonté. Il mettrait ensuite les voiles pour ne plus revenir dans ce quartier. Il passerait faire un tour en forêt pour avoir un repas digne d'une créature comme lui. Un bon petit programme pour sa journée de demain. Mais pour l'heure, un petit somme s'imposait.

Et quoi de mieux qu'un canapé pour passer la nuit? Bon, il y avait bien sûr le lit… Mais pour le chien qui était habitué à dormir à l'extérieur dans des endroits froids et humides ou sec et trop chaud, souvent sur le sol, un divan moelleux était l'endroit rêvé pour faire la sieste. Il ne faudrait pas le lui dire deux fois. Maintenant qu'henry lui avait permis de squatter le canapé, Cerbère ne s'en priverait pas. Il adressa une bonne nuit à l'hôte de maison et attendit tout de même qu'il ait quitté la pièce pour aller s'installer dans le divan. Il s'y jeta avant de s'étirer de tout son long, content d'avoir enfin un endroit chaud où dormir.

On pourrait dévaliser le frigo!

Oui, il a dit qu'on pouvait se servir!

Ça ne se fait pas! C'est déjà bien gentil de nous avoir nourris et de nous loger… Pas la peine de mettre le bazar ici!

Les deux frères n'étaient visible pas content que le troisième vienne mettre un "hola" à leurs envies. Certes, l'estomac du canidé n'était clairement pas rassasié avec une simple cuisse de poulet. Si ça ne tenait qu'à lui, il laisserait ses instincts reprendre le dessus pour aller dévorer toute la nourriture enfermée dans le frigo. Mais gardons un peu de bon sens! Bien qu'Henry ait voulu le chasser quelques instant plus tôt, il leur avait malgré tout permis de rester loger chez lui. Donc restons un peu civilisé. Pas de carnage dans la cuisine, un point c'est tout! Cerbère tiendrait bien jusqu'au matin. Une fois parti d'ici et sorti de la ville, il irait chasser pour calmer son appétit vorace. Un bon cerf ferait l'affaire! Ça lui donnait l'eau à la bouche tout ça…

Le chien des Enfers s'étira à nouveau avant de se lever.
Il retourna dans la cuisine. Non pas pour dévorer quoi que ce soit, mais plutôt pour boire. S'il n'avait plus le droit d'avaler quelque chose dans cette maison, il pouvait encore au moins boire de l'eau. Il récupéra le verre qu'il avait déjà utilisé. Après un bref combat pour allumer le robinet, il se servit d'eau plusieurs fois avant de fermer l'arrivée du liquide. Il déposa son verre dans l'évier et retourna s'installer dans le canapé, enlevant tout de même ses chaussures pour éviter de le salir. Il attrapa un coussin pour le placer sous sa tête, s'étalant bien sur le ventre, quitte à prendre toute la place. Cerbère bailla longuement avant de fermer les yeux. Une bonne nuit de sommeil lui ferait le plus grand bien. D'ailleurs, le molosse ne tarda pas à s'endormir.

La nuit se passa sans embuche.
Le chien des Enfers était resté tranquillement toute la nuit sur le canapé, dormant comme une masse. Il n'aurait pas su dire si leur hôte était revenu dans le salon durant son sommeil. Il n'empêche que le lendemain matin, Cerbère se réveilla avec le soleil. Son horloge biologique lui indiqua qu'il étant temps d'ouvrir les yeux et de filer avant qu'Henry ne débarque. De toute façon, c'était ce que l'homme voulait, que le canidé s'en aille dès le matin. Il n'avait pas précisé à quelle heure il devait partir, mais mieux valait ne pas trop s'attarder ici. Enosi dut longuement convaincre ses frères de ne pas dévaliser le frigo avant de partir. Même leur estomac criait famine, ce n'était pas une raison pour vider les provisions de celui qui l'avait hébergé.

Cerbère s'étira avant de se redresser pour remettre ses chaussures. Il retourna dans la cuisine boire un verre d'eau avant de se diriger vers la porte d'entrée. La créature aurait bien laissé un petit message pour remercier le maitre de maison, mais ne sachant ni lire ni écrire, il laissa tomber l'idée. Il veilla juste à avoir rangé le coussin à sa place et mit le verre dans l'évier. Le chien tourna la clé dans la serrure et ouvrit la porte avant de la refermer derrière lui. Le soleil venait à peine de se lever lorsqu'il quitta le domicile d'Henry pour reprendre sa marche dans la neige. Il ne resterait probablement pas en ville, ayant une faim de loup. Un petit tour en forêt s'imposait, histoire d'avoir le ventre réellement bien rempli. Cette cuisse de poulet ne l'avait décidément pas assez rassasié…