Je saisis sans la moindre once d'hésitation sa main tendue, qui m'aida à me relever. Je me remis sur mes pieds sans aucune peine. Je laissais s'approcher. Un petit sourire étira mes lèvres tandis qu'il me murmurait quelque chose à l'oreille. Certes, il n'était jamais trop tôt ou trop tard que pour aller s'amuser, mais quand même... Je baissais les yeux sur ma tenue. Hnn. Mouais. Dans la lumière tamisée, ça pouvait vaguement ressembler à une tenue de sortie. Il lâcha finalement ma main et recula. Notre proximité m'avait à peine effleurée l'esprit et je dus faire de gros efforts pour ne pas rougir comme une imbécile. Il se présenta sous le nom d'Oliver, Ollie de son surnom. J'avais très envie de le nommer Olive, allez donc savoir pourquoi.

« Sharmal, répondis-je. Surnommée suivant la convenance de chacun. »

J'esquissais un pâle sourire. Sharmal n'était que mon deuxième prénom et je ne donnais le premier qu'à ceux qui me paraissaient antipathiques et chieurs. Mercedes était réservée à ceux que je n'aimais pas. C'était le nom officiel, alors que Sharmal était l'affectif.
Pourquoi avais-je donné le nom de Sharmal à Logan, alors ? ... d'ailleurs, QUAND lui avais-je donné la moindre information ?

Nous quittâmes les ruines et je regardais tranquillement le paysage défiler. Nous n'allions pas du côté de Kalel et j'en fus rassurée. Je me voyais mal expliquer à Oliver pourquoi je tenais à éviter la Taverne Derlíon.
Il m'emmena à Terraria, du côté des catacombes. J'étais intriguée. Que pouvait-il y avoir d'intéressant là, à part des ossements et des plaques commémoratives ? Je fus très rapidement fixée. Une boîte de nuit. Ou du moins quelque chose qui y ressemblait. Et qui semblait vaguement louche.

« Tu as une boisson à me suggérer ? questionnais-je, taquine, en me dirigeant vers ce qui faisait office de bar. »

Sa main prit la mienne et il mena la marche, se faufilant avec aisance et souplesse entre les danseurs. Il semblait avoir l'habitude de cet exercice. Il m'emmena jusqu'au bar, derrière lequel le barman s'activait avec nonchalance. Je l'admirais pour sa maîtrise. Je n'avais pas reçu de formation pour cette tâche, que j'accomplissais pourtant chaque jour à la taverne. Lui, il était classe. Moi, je devais juste avoir la gueule d'une chimiste coincée à ses côtés. Je laissais Ollie faire les présentations, restant légèrement en retrait. Nolan. Okay, c'était un nom à retenir. Si jamais il perdait un jour son boulot ici, je serais ravie de lui proposer une place dans mon établissement, même s'il était radicalement différent d'un nightclub. Quoique. Quand les clients finissaient bourrés -environ vers 11h du soir- ça ressemblait étrangement à cet endroit, la musique à fond et les lumières en moins.

Six shooters s'alignaient à présents devant nous et Ollie m'en présenta un. White Russian. Vodka, liqueur de café et crème. Quelque chose de très doux. Je m'emparais du minuscule verre avec un petit sourire ravi. Douceur et sucrerie, tout ce qui pouvait t'envoyer au paradis.

« Je suis si transparente que ça ? riais-je. Dans le mille Ollie ! J'adore ça. »

Je trinquais joyeusement avant de me hisser sur un tabouret. Je dédaignais le "cul sec" et sirotais passivement mon shooter, savourant la morsure de la vodka et l'effet apaisant de la glace pilée. Mes doigts tapotaient le comptoir au rythme de la musique et j'observais les danseurs enfiévrés. Il me faudra encore quelques verres avant de pouvoir être en mesure de les rejoindre sans rougir à tout va. Je n'étais pas une danseuse née, je préférais de loin rester du côté du comptoir.

Je fis tinter les derniers bouts de glace dans le verre en pivotais sur mon tabouret vers Ollie.

« Considère-moi comme une parfaite bleue et guide-moi. Que faisons-nous, maintenant ? »

Je lui adressais un grand sourire candide et déposais mon shooter vide, observant du coin de l’œil la gestuelle précise du barman.

Je el regardais avaler tout rond ses trois shooter sans mot dire. Ça n'avait presque pas l'air de l'affecter, alors que je serais déjà occupée à rouler par terre avec une dose pareille ingérée aussi vite. En même toi, moi et l'alcool, ce n'était pas l'histoire d'amour su siècle. Sans doute parce que je voulais clairement me différencier des chasseurs qui squattaient mes chambres et qui passaient leurs soirées libres à se bourrer la gueule à tarifs réduits.

D'après ses dires, il n'était pas un bon guide. Un avis extérieur dirait certainement qu'il avait parfaitement raison. Voyons, on n'emmenait pas ainsi une demoiselle tout juste rencontrée dans un nightclub clandestin. Mais moi, je m'en fichais. C'était amusant. Distrayant. Intéressant ? Assurément excitant.

« Qui sait ? Tu es peut-être un exemple qui me convient mais pas à d'autres ? »

J'attrapais le deuxième shooter, que j'avalais sans aucune marque d'hésitation. Je pouvais me lâcher ce soir. J'avais décidé que j'allais me laisser aller, que j'allais un peu quitter cette image de gentille blondinette que je me traînais sans trop savoir comment que j'avais fait pour être ainsi étiquetée.

Je vidais le dernier shooter un peu plus lentement que le deuxième et me levais, avant de lui prendre la main en affichant un grand sourire un brin idiot mais ravi. Je le tirais au milieu des danseurs. L'alcool que j'avais ingéré commençait déjà à faire effet et je détachais mes cheveux sans autre forme de procès, avant de commencer à bouger en rythme avec la musique et les danseurs qui m'entouraient.

Une heure après, j'étais en nage et je me traînais vers le bar, pour me reposer un peu. J'observais à nouveau le barman en soupirant.

« J'aimerais être aussi douée que lui... »

J'esquissais un sourire en l'entendant me suggérer de demander à Nolan de me prendre pour un mini-stage. Je savais d'avance que j'étais un cas désespéré. De toute manière, la spécialité des Dan Derlíon était la bière, pas la confection de cocktails. Les miens étaient très bons mais c'était à peine si je les confectionnais en catimini. Je manquais cruellement de style, c'était certain.

« Nan, je suis une vraie catastrophe et j'ai déjà beaucoup de boulot à la taverne... je ne peux pas me permettre de m'absenter plus d'un soir. »

Chanceux, ma soirée libre t'étais donc réservée.

Le barman repassa et déposa... des comprimés ? Fluos ?! Hnn. Non, ça ne m'inspirait pas confiance. Je regardais Oliver avaler sans hésiter l'un des trois comprimés.

« Je... pas tout de suite, murmurais-je, rougissante. »

J'avais un chaperon omniscient qui risquait de me remonter les bretelles si jamais je passais le point de non-retour. Il serait même capable de venir me chercher par la peau du cou s'il ressentait que je faisais de grosses bêtises via le lien. Et plutôt crever que m'humilier ainsi. Alors j'allais être sage et me contenter de descendre shooter sur shooter.

Je fis un signe au barman et poussais légèrement la coupelle vers lui, avec un petit sourire d'excuse. Sauvez-moi de la tentation. Pour me faire pardonner, je commandais un cocktail surprise. Oulà. C'était bleu électrique. Un Poséidon ? Tout en mâchonnant pensivement ma paille, j'observais Oliver.

« Ça va ? questionnais-je en lançant un regard équivoque vers les deux derniers comprimés. »

Bon sang, en y regardant de plus près, ils avaient tous l'air un peu défoncés dans cette boîte de nuit...

« Dis-moi Ollie... qu'est-ce qui te plaît dans un endroit comme celui-ci ? »

Ses mains posées sur mes hanches me firent rougir. Ce n'était pas un contact que j'avais l'habitude d'avoir... enfin, sauf si on comptait les ivrognes que je remettait à leur place à coups de plateaux à la taverne. Il se sentait excessivement bien, selon ses dires. Quand il demanda très gentiment si je désirais m'en aller, je secouais énergiquement la tête. Même si ma raison me disait que cet endroit n'était pas pour moi, je m'entêtais. Je voulais découvrir, je voulais voir autre chose que les chasseurs, le sang et les vampires, la taverne et la bière.

Il riait. Dieu que cela semblait étrange dans un tel endroit. Mais au fond, rire faisait du bien. Tu ne riais pas souvent. Ton quotidien n'était pas si joyeux que ça. Sauf quand le chat de la voisine venait squatter ta chambre. Oway. Ça virait immanquablement en une séance de gratouilles et de câlins. Tu adorais les chats. Dommage que la bouffe coûte aussi cher.

« Vivant... »

Mes yeux balayèrent lentement la salle, passant de danseur en danseur. Hnn. Ils avaient plus l'air de zombies que de mecs vivants, pour la plupart. Mais comparés à eux, oui, Ollie avait une tête de type vivant, la gueule de l'enfant qui croque la vie à pleines dents et court dans les champs en riants parce que c'est fun et innocent.

« Je suppose que c'est le genre d'endroit dans lequel tu aimerais bosser, plus tard ? »

C'était peut-être un endroit qui en faisait rêver plus d'un. La vie monotone s'évanouissait dès le premier verre dans ce lieu étrange. La vie palpitante reprenait ses droits, chassant la terne existence humaine. C'était fascinant. La taverne familiale avait-elle cette valeur dans les yeux de certains de mes habitués ? Maintenant, cela me turlupinait quelque peu.

Je posais mes mains sur ses joues en souriant, caressais presque la peau. Un soupir m'échappa, j'oubliais ses mains sur mes hanches. J'oubliais beaucoup de choses. J'essayais de me fondre dans cette masse, mais sans recourir aux aides proposées. Je me contenterai de l'alcool.

« J'ai envie de quelque chose de différent. De nouveau. Tu connaîtrais pas un cocktail un peu explosif ? »

Ce soir, je me fais plaisir et j'envoie balader le monde.

Face à ta demande, la réponse fuse. Il n'y a pas eu un seul instant de réflexion ou d'hésitation, la réponse s'imposait d'elle-même chez Oliver. Quelque chose d'explosif ? Le Bloody Mary. Il n'y avait aucune autre solution possible pour lui. Ses lèvres sur mon front me surprirent mais je ne protestais pas, me contentant de sourire comme une gamine. J'avais déjà ingurgité bien plus d'alcool que d'habitude, je commençais à perdre de vue la réalité. Je me laissais aller tandis qu'il me serrait contre lui.

« Ouais, 13 fois. Ou 666 fois, si tu as le courage de compter jusque là, répondis-je d'une voix pâteuse. »

Le barman devait être à l'affût car moins d'une poignée de minutes plus tard, deux verres remplis d'un liquide rouge apparurent presque miraculeusement près de nous. Je m'emparais de mon verre et fis santé et riant comme une enfant. Je trempais mes lèvres, savourant la brûlure du tabasco. Les épices et les machins piquants, ce n'était pas tellement ma tasse de thé, mais dieu ce que j'aimais le Bloody Mary. Je pris une grosse gorgée et secouais la tête pour chasser les larmes qui me montaient aux yeux face au piquant du breuvage.

« T'as déjà entendu... ah, p'tain, ça pique... d'la Crimson ? »

J'avais entendu parler des chasseurs en parler comme étant une sorte de nouvelle drogue, mais je n'en savais pas plus. Ollie s'y connaitrait sans doute plus que moi dans le domaine.

J'engloutis une bonne moitié du verre et me saisis de la rondelle de citron qui accompagnait le cocktail et mordis dedans, avant de suçoter le jus. J'avais toujours eu un fiable pour le citron, c'était mon petit péché mignon.

Hum. Demain, j'allais me faire déchirer par Jevy.
Pas grave.
J'avais le droit de m'amuser, non ?

Bien que dans un état peu sujet à la lucidité et à l'observation, je vis Oliver se fermer tout d'un coup, comme une huître. Il ne semble plus du tout disposé à s'amuser et à boire. Tu penches légèrement la tête sur le côté, alors que sa voix froide vient chatouiller tes oreilles. Rentrer ? Oh non. Non non non. Pas déjà. Et surtout pas dans cet état. J'avais une vingtaine de chaperons qui n'allaient pas me rater, là. De plus, vu mon état bien avancé, je ne discernais pas ce qu'il sous-entendait. Un sourire illumina mon visage alors que je glissais mes mains dans sa nuque, avant de nicher mon visage au creux de son épaule.

« Olliiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiie ! »

J'avais la voix joyeuse et pâteuse à la fois, ce qui donnait un mélange plutôt étrange. Bah. Au moins, j'avais l'alcool joyeux et pas nostalgique ou violent.

« Si j'rentre dans cet état maintenant, j'vais me faire tueeeeer. Les mecs vont pas me louper. Olàlà, l'autre crétin de v... Logan va pas me rater non plus. »

Je roulais des yeux comme une gamine en me frottant la nuque. Nul doute que le vampire ressentait mon état d'ébriété. J'embrassais le garçon sur le bout du nez, taquine.

« Hey, Ollie... j'ai pas dit que j'voulais tester, hein. Juste savoir. Mais s'tu veux pas, no problem. Chuis habituée. »

Je lui adressais un grand sourire et posais finalement la joue sur le bar. C'était frais, ça faisait du bien. Je fermais un instant les yeux. Je les rouvris et esquissais un nouveau petit sourire, adressé à Oliver.

« Dis... je sais que mon établissement n'est pas aussi... fun qu'ici, mais tu viendras me dire bonjour de temps en temps ? »

J'entendais à peine ce qu'il me répondit et, pour tout avouer, je n'en avais cure. Dans l'état où j'étais, rien n'avais d'importance. On aurait pu m'annoncer qu'un dieu avait envie de danser de la samba sur un tango anglais que j'en aurais ri jusqu'à ne plus pouvoir m'en relever, sans même chercher à savoir le pourquoi du comment. Là, je me contentais donc de rester sur mon siège, en gazouillant bêtement, tout en sirotant le fond de mon bloody mary.

Je le laissais m'attraper par le poignet, je le laissais m'attirer contre lui. Certes, j'étais une chasseresse et j'avais développé une musculature propre à mes activités durant mon entraînement, mais actuellement j'avais une consistance d'éponge imbibée de rhum.

« Mais ils vont me tueeeeeeeer ! geignis-je comme une enfant. Tu peux pas me faire ça, Olliiiiiiiiiiie ! »

Je nichais mon visage au creux de son épaule, me sentant vachement somnolente tout à coup. En plus, il était bien gentil de vouloir me ramener chez moi, mais encore fallait-il qu'il ait mon adresse.

« Vu l'heure, peut-être qu'ils seront déjà endormis, ânonais-je. »

C'était bien sûr inimaginable. Je n'étais pas à la taverne, je n'étais pas en chasse, je m'étais barrée en courant et en hurlant que je voulais être loin d'eux, aucune chance donc qu'ils soient partis dormir en attendant sagement mon retour.

« Destination la Taverne Dan Derlíon, alors ? »

Je farfouillais dans mes poches pour en tirer quelques runes, bien assez que pour payer mes consommation du jour. Ou de la nuit, je n'en savais fichtrement plus rien.