Il faisait froid. Trop froid. C'était ce que se répétait Aydin intérieurement et inlassablement dans un nombre un incalculable de fois, comme une malédiction. En fait, elle passait son temps à râler sur la température ambiante de cette foutue ville. Pourquoi ne s'était-elle pas retrouvé coincée à Marina ? Là, au moins, c'était supportable, et en plus il y avait la mer. Si ça avait été le cas, à Marina, elle serait peut-être tombé sur mieux que l'appart' miteux de l'autre schizophrène, là. M'enfin, c'était mieux que rien, et il fallait quand même remercier son semblant de générosité, si ce n'était qu'il possédait un type pas net dans la tête. A Froënbourg, il y avait quoi ? La montagne ? Certes, c'était joli. Mais, encore et toujours, il faisait trop froid pour vivre. Et le surplus de vêtements... Bordel, les fringues légères lui manquaient. Aydin tira un peu sur sa grosse écharpe en laine rouge enroulée autour de son cou, reniflant discrètement. Arf. En plus cette matière était détestable, bien qu'elle tienne chaud. Le coton, y avait que ça de vrai. En plus de cette écharpe, elle portait une grosse veste, et, si les fringues pour le ski étaient pas aussi moches et pas passe partout en ville, elle en porterait bien une parce que ça, pour elle, c'était carrément pas suffisant, frileuse qu'elle était. Un simple jean slim, des bottes fourrées. Le Sud lui manquait horriblement... Là au moins elle pouvait se trimbaler en simple t-shirt, jupe, robe ou short, selon son envie d'être en mec ou non. Actuellement, les jupes, c'était mort, complètement mort, elle voulait bien être une femme, mais c'était suicidaire, elle n'était pas comme toutes ces nénettes en mini jupe qui, quelque soit le temps, qu'il y ait une tempête de neige, un cyclone, ou même l'apocalypse, portaient une jolie petite jupette parce que c'était mignon et ça mettait en valeur les jambes. Ben non. Que dalle.

La jeune femme s'était forcée à quitter la chaleur confortable de l'appartement, tout simplement pour que l'autre idiot de proprio arrête de lui râler dessus à cause de sa garde robe qui était pas mal usée et peu fournie -il l'avait même menacé de les brûler ou de les jeter, et ceci n'est pas un mensonge-, et que de toute façon, elle avait bien besoin de nouvelles fringues, elle le savait bien. Même elle commençait à se lasser de son bon vieux t-shirt aux trois triangles légendaires et des deux-trois autres qu'elle avait en réserve. Sans compter les quelques vêtements féminins qu'elle n'utilisait pas souvent, qu'elle avait vite planqué dans un coin pour pas que l'autre les trouve et ne se doute de quelque chose. Lui fallait aussi des jeans pas trop troués, histoire de pas passer pour un clochard -ce qu'elle était il n'y avait pas si longtemps que ça- pendant des entretiens d'embauches. Lui avait aussi fallu du temps pour capter que c'était pour ça que les patrons la regardait bizarrement. Elle avait donc profité de l'absence du proprio pour s'habiller, se maquiller, et sortir en tant que fille sans que personne ne se doute de rien, à part la concierge d'en face qui de toute façon n'irait pas en parler à l'autre parce que cette vieille femme n'avait que de la tronche. Au pire, elle pourrait penser ce qu'elle voulait, le fait étant qu'elle se travestissait, qu'elle fut un mec ou une fille.

Traînant les pieds dans les rues, sentant quelques regards sûrement inintentionnels sur elle mais n'y faisant pas attention, habituée au fait de ressortir dans cette masse de gens aussi blancs que le paysage, Aydin, mains dans les poches de sa veste -les mitaines n'étant pas suffisantes-, se traîna jusqu'à un magasin de fringues pour homme qui lui paraissait plutôt sympa. Elle y dénicha une chemise bleue quadrillée épaisse à longues manches style country, un t-shirt, et un jean. Le reste était moyen ou trop cher, et elle n'avait pas beaucoup d'argent, seulement ce qu'elle avait gagné dans un petit boulot d'aide à la mémé au black payé la misère. Là-bas ils s'en foutaient de ses fringues, c'était déjà ça. Bah, pt'être que la vieille l'avait jugée au début, possible.

Aydin sortait de la boutique quand son regard se porta sur un gars devant qui... était pieds nus et... pieds qui étaient sur la vitre et... qui semblait être très concerné par la vitrine, presque en grande méditation. Surtout devant les chaussures. What... Non, non, faisons comme si on l'avait pas vu, ce type plus grand que la normale et pas mal poilu, limite à poil par ce temps qui lui donnait froid. De toute façon, le proprio s'était ramené pour s'occuper de cet étrange énergumène. La curiosité prenant le pas sur l'indifférence, elle assista à la scène pour voir qui aurait le dernier mot entre le grand type et le petit proprio rabougri qui semblait se ratatiner à mesure qu'il jaugeait la bête. Sûrement pas ce dernier, en tout cas. Un sourire amusé sur les lèvres, elle allait repartir pour trouver une autre boutique, quand elle entendit l'autre parler. Peut-être pas à elle. Elle jeta un regard aux alentours, mais, de toute évidence, elle était la seule nana des environs. Se retournant pour lui faire face, les sourcils froncés, elle lui répondit d'abord vivement, avant d'adoucir un peu son ton.

-... J't'en pose, des quest... ? … Hem, pardon. Mauvaise journée. Haha.

Ouch. De justesse. Chassez le naturel, il revenait au galop. Elle n'était plus Aydin, mais Setsulya, la vraie fille. Pas qu'Aydin était faux, parce qu'au final il était en grande partie ce qu'elle était réellement. Elle n'agissait pas comme une femme persuadée d'être un homme -seulement quand elle était en homme-, elle, contrairement à d'autres, se sentait l'un et l'autre, trop habituée à être l'un ou l'autre. Aydin -parce qu'au final, elle était plus habituée à ce nom qu'à l'autre- sourit avec amabilité, quoiqu'un peu étonnée par la question étrange de son interlocuteur. Combien de temps elle restait en colère... ? Aydin faillit se foutre de lui ouvertement mais se retint, inhabituellement soucieuse de ne pas vexer la personne en face d'elle, de bien paraître. Elle répondit tranquillement, son sac rempli des quelques vêtements qu'elle venait d'acheter dans ses mains.

-Assez longtemps. Je suis un peu rancunière...(le doux euphémisme...) Pourquoi cette question ? Je veux pas être indiscrète, mais... t'as des problèmes, non ?

Dont le premier, qu'il devait se les geler horriblement. Puis qu'est-ce qu'il foutait à buguer devant la boutique pleine de vêtements ? Il pouvait pas être aussi fauché qu'elle, quand même. En tout cas il n'en avait pas l'air. Et si, c'était carrément indiscret comme question. Mais Aydin se fichait pas mal de ce qu'on pouvait penser d'elle, et ne respectait que modérément les règles de bienséance, malgré ses quelques efforts sous l'apparence d'une fille. Fallait pas trop lui en demander, et de toute manière, ici, personne ne connaissait sa famille et tous le monde ignorait qui elle était, si ce n'est une fille du Sud.

HRP:

HRP :

Aspirateur. Lit et appartement dégueulassé. Viande ramenée. Alors, soit elle rêvait, soit elle attirait les gens les plus bizarres de cette terre. Devait y avoir un aimant collé sur elle, sur lequel devait être écrit sur une étiquette "Rencontres étranges. Viendez. Moi aussi, je suis bizarre vous savez, on devrait bien s'entendre". Que l'enfoiré qui avait créé son karma se présente pour qu'elle lui explique sa façon de penser. Bon, l'appart' dégueulassé, ça pouvait être réaliste. Par contre, le reste... Mais surtout. SURTOUT. Pourquoi diable tant de haine envers un vulgaire aspirateur ? Pourquoi ? Et pourquoi elle lui avait demandé s'il avait les problèmes, dans un accès de politesse indiscrète ? Après tout, elle s'en tapait de ce type, c'était un étranger. Foutue curiosité. Ça la perdra un jour ou l'autre, cette connerie. Ne s'attendant pas à de telles explications, Aydin resta là, un peu paumée, cherchant quoi dire, au lieu de s'énerver et l'engueuler parce qu'elle avait du mal à rendre l'ensemble cohérent. Elle avait tendance à s'en prendre à ses interlocuteurs, lorsqu'elle n'arrivait pas à recoller les morceaux.

Alors qu'il lui proposait d'entrer dans la boutique, un morceau de puzzle s'ajouta dans sa cervelle, mis un peu plus en évidence. Cette façon de parler... Ça lui était en quelque sorte familier. Ouais, c'était pas nouveau, ça... mais non, impossible. Attendez. Il avait bien dit, "être humain" ? Aydin fronça les sourcils en le regardant. Naaaan. Elle était quand même pas tombée sur un lémure ? Elle ne voulait pas trop y croire, mais sa manière de s'exprimer, son comportement, et ce qu'il venait de dire concordaient. M'enfin, peut-être qu'elle se trompait, et que le souvenir de son meilleur ami la hantait. Ce qui était certain, c'était que ce n'était pas lui. En plus il était nul en métamorphose. Z'avez vu toute cette pilosité qu'il se trimbalait ? Et ses cheveux qui couvraient ses yeux ? Il semblait même n'être que peu habitué à la société humaine, vu son comportement, et sa manière de ne pas se vêtir correctement dans un lieu réputé pour être le plus froid des environs. La jeune femme haussa un sourcil et répondit à son invitation à entrer.

-Si c'est des chaussures que tu veux, peu de chances que t'en aies, vu ta taille de pieds. Puis vu ce que t'est en train de me dire, j'aurais peur que tu les bouffes. M'enfin, même si t'es pieds nus, je pense que tu peux entrer, vu que t'as filé les jetons au propriétaire.

Ouais, elle avait pas envie de se prendre la tête avec le personnel des autres magasins. C'est en entrant dans la boutique qu'une possibilité presque évidente lui effleura le cerveau. Est-ce qu'il avait au moins de quoi se payer un vêtement en plus ? Non, parce que c'était pas elle qui allait fringuer un total inconnu. Quoiqu'elle ne l'aurait pas fait pour ses potes non plus, radine qu'elle était. Aydin savait exprimer son affection envers les autres, mais pas de manière matérielle, l'argent, c'était sacré. Elle était un peu le stéréotype du riche radin, même si actuellement, elle ne l'était pas, l'argent appartenant à la base à son héritage familial, donc dans le cas présent, son père. La jeune femme avait bien un compte en banque rempli d'une jolie somme, mais elle n'avait plus sa carte de crédit et n'avait pas encore fait les démarches pour en avoir une nouvelle. Elle avait de toute manière décidé d'essayer de vivre par ses propres moyens et n'y toucherait seulement qu'en cas de nécessité lorsqu'elle aurait la possibilité d'y avoir accès.

Inexpressive et mains dans les poches, elle accompagna le gars dans les différents rayons, balançant un peu son sac de nouvelles fringues au passage, l'observant avec intérêt, cherchant un quelconque indice pouvant confirmer sa pensée sur son origine. Humain ou non ? Elle n'était pas sûre. Le regard d'Aydin s'arrêta vaguement sur un sweat bleu foncé au motif plaisant qui semblait bien épais et bien chaud. Elle redoutait le moment fatidique où ils arriveraient à la caisse. S'il avait pas de blé sur lui, et qu'il était pas bête, il ferait que profiter du chauffage et ressortirait tranquillement sans faire d'histoires. C'était ce qu'elle espérait.

HRP:

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Si Aydin avait perçu le sourire carnassier de l'étrange énergumène, elle ne manifesta aucune réaction, restant toutefois sur ses gardes en entendant ses paroles. Tant qu'il se contentait de mâcher des chaussures ou d'exploser le nouvel Aspirator2000 de sa colocataire, elle s'en foutait. En plus, il pouvait tout aussi bien bluffer: il avait beau avoir une apparence assez flippante et peu banale, s'il était capable de se métamorphoser en quelque chose, ça pouvait très bien être un simple rat d'égout ou autres bestioles de ce genre. Maintenant, elle comprenait pourquoi son ami lémure n'appréciait que modérément son apparence animale. Pour les menaces, ce devait être difficile, quand on était un lynx tout chou tout mignon qu'on pouvait envoyer à 200 mètres avec un coup de pied bien placé lorsqu'il se dévoilait. Dur pour lui. Elle l'avait donc regardé d'un air blasé, sans faire de commentaire supplémentaire. En général, elle préférait se retrouver dans les problèmes plutôt que de les anticiper, ce qui était complètement stupide de sa part. Ses choix dans la vie étaient parfois bien discutables... Mais la narratrice n'étant pas là pour en juger, qu'elle s'occupe de ses affaires, et les chameaux seront bien gardés. Non mais.

Et v'là qu'il balançait des vêtements par terre en la regardant avec insistance. Elle haussa de nouveau un de ses sourcils noir et fin, une expression de totale incompréhension sur le visage. Qu'est-ce qu'il nous faisait encore... Mais qu'est-ce qu'il lui voulait là ? Il était quand même pas en train de lui faire un affront en balançant tout par terre pour qu'elle ramasse ? Si c'était ça... Aydin commençait à ressentir une violente envie de le cogner, quand le propriétaire qui les observait depuis leur entrée à l'intérieur de la boutique débarqua, tout aussi scandalisé qu'elle par son comportement. Fatiguée ? Froid ? ... Mais... Qu'est-ce qu'il était en train de raconter, là, avec sa tête d'ahuri ? C'était quoi le p*tain de rapport entre les sweats à terre, et la fatigue et le froid ? Elle comprenait rien. Ou plutôt, tout ça n'avait aucun sens pour elle. Complètement perdue, elle hésitait entre se barrer et le laisser là, avec ses problèmes, le frapper, juste parce que ça lui ferait du bien parce qu'elle détestait être dans l'incompréhension totale, ou essayer de sortir d'ici avant que ça ne dégénère, puis le lâcher éventuellement dans la rue.

C'est quand il commença à menacer le bonhomme qui tenait la boutique et qu'il s'était tiré tranquillement sans se laisser perturber par l'agitation autour qu'Aydin finit par réagir. Sans trop réfléchir, elle lui avait juste avant indiqué celui à la bonne taille -enfin, on était pas à l'abris d'une erreur de sa part- mais elle avait regretté son geste, l'inévitable se produisant. Il se barrait bien sans payer. Bordel. Elle le savait, en plus. Pour une fois, elle avait envisagé un problème. Mais elle s'était empêtrée dedans sans trop rien faire, passive. Et voilà. Voilà les conséquences. Avec un faible sourire d'excuse et un gros doigt d'honneur qui n'existait que dans sa caboche au proprio, elle s'adressa -les mots lui écorchant le coeur, la gorge et le portefeuille- au petit bonhomme trapu tout moche.

-... Combien le sweat ?
-V... Vous payez, donc ? Si je me souviens bien, il était à 80 runes.
-HEIN ?! Vous décon... ?! ... Je vais voir si j'ai ça. Mpfheuh.

Grinçant des dents, Aydin fouilla dans son portefeuille avec des envies de meurtres. Si elle le chopait, il allait prendre cher, cet enfoiré. Et là, son teint pâli peu à peu, limite si elle était pas en train de se métamorphoser en vrai demoiselle de Froënbourg. 20 runes. Tout ce qu'il lui restait. Son regard se porta sur le type en face d'elle. Sourire figé. Merde. Le temps s'arrêta momentanément. La jeune femme recula d'un pas, tandis que l'expression de l'homme en face d'elle évoluait progressivement. Il n'eut pas le temps d'arriver à sa forme finale qu'Aydin avait déjà tourné les talons et s'était tapé un sprint jusqu'à la sortie du magasin, priant pour qu'il n'y ait pas de vigiles. Ce qui s'avéra être le cas, la chance étant heureusement de son côté, mais pour combien de temps. Poursuivie, elle chopa au passage le bras de ce type mort dans le futur et l'entraîna avec elle, plus concentrée sur la fuite qu'autre chose.

Une fois loin des cris et de la police qui risquait de débarquer à un moment ou à un autre, Aydin s'arrêta devant un café, complètement essoufflée. Elle s'approcha de lui et... le tabassa avec ses sacs de fringues en lui gueulant dessus, rageuse.

-T'ES STUPIDE OU QUOI ?! SI TU PEUX PAS PAYER TU TE BARRES PAS AVEC COMME UN TOURISTE ! RIEN QUE POUR CA J'AI ENVIE DE TE FRAPPER !

... Hurlait la jeune femme avec un certaine tendance à voler des trucs sans s'en rendre compte. Elle s'énerva encore un petit moment, pour enfin se calmer, le visage toutefois buté. Bordel, elle était partie sur une journée calme, pas ça...

HRP:

Les yeux dorés d'Aydin s'écarquillèrent de surprise, sa bouche s'ouvrit à demi et se figea, lui donnant un air stupide et ainsi se transformant en abri à mouches. La main de la jeune femme était encore levée, mais le sac qu'elle tenait auparavant ne s'y trouvait plus. Où se trouvait donc l'objet ? En face d'elle. Qui était en train de commettre le crime de les déchiqueter lentement et un à un devant son nez ? Pas ce bon vieux Colonel Moutarde, elle en était certaine. Il y avait encore moins de chandelier dans la scène, puisqu'ils se trouvaient dans la rue. Juste les grandes mains de ce type massif et tout de muscles, pieds nus. Celui qui l'avait menacé, pour ensuite déchirer tout ça, histoire de lui montrer peut-être un exemple de ce qu'il avait envie de faire. Aydin n'avait même pas réagi quand il avait plaqué les lambeaux sur son torse avec force, trop préoccupée par les oreilles et la queue de loup qui étaient apparu peu à peu, pendant qu'il était occupé à détruire ce qu'il avait en main avec un sourire carnassier. Elle avait même pas la force de gueuler pour la perte de ses vêtements et le vol du sweat -pour l'instant-, ce type lui avait coupé le sifflet. Et il fallait le faire, pour faire taire la demoiselle aussi longtemps après un tel affront. Alors ça, pour un spectacle...

Même si Aydin préférerait se brûler la main plutôt que d'avouer que ce grand gus la faisait quand même pas mal flipper maintenant, il fallait reconnaître qu'elle avait dégluti lorsqu'il avait approché son visage du sien en la menaçant de nouveau de foutre en lambeaux ses autres vêtements, si elle le frappait encore. Oh, elle avait affronté son regard avec dignité, évidemment. Mais elle faisait moins la maligne. Aydin baissa lentement sa main et fit un subtil pas en arrière. Puis elle reprit une expression digne de ce nom. Celle du défi, et celle de quelqu'un qui n'avait peur de rien, malgré quelques subtils mouvements de sa part qui pouvaient laisser entre-apercevoir son stress et sa crainte. Elle faisait pas face à un fou, mais bien à une créature. Laquelle ? Bonne question. Mais c'était un loup, ou un chien, allez savoir. Son regard passa des oreilles de l'homme, à ses yeux, puis continua à descendre... jusqu'à tomber sur ses hanches, dont... le pantalon était descendu bien trop bas. Embarrassée, la jeune femme éloigna immédiatement son regard de cette zone et balança les fringues détruits sur son interlocuteur.

-J'veux pas savoir... Parce que tu m'feras rien. On m'sous estime pas moi... voilà voilà.

Aydin toussa de gêne, puis continua.

-C'est toi qui va perdre tes vêtements, si ça continue. Tu devrais... hem... trouver un moyen de remonter ton pantalon. Puis un type avec une queue touffue derrière le dos et des oreilles, c'pas très discret, tu sais. Enfin, j'dis ça, j'dis rien.

Comment ça, elle devrait tourner les talons, plutôt que de taper la discute avec lui ? Non. La jeune femme aux milles tâches de rousseur n'était pas homme à fuir le moindre danger, et ne manquait pas de témérité. Elle était même en surdose de courage, tellement que ça virait à la bêtise. Certains se demandaient parfois si elle possédait vraiment un instinct de survie. D'autres diront que oui, certains diront que non. Qu'elle était suicidaire. Mais Aydin s'en foutait royalement de ce qu'on pouvait raconter sur elle, et n'en faisait en général qu'à sa tête. C'est ainsi que, quand même frustrée par la perte de ses nouveaux vêtements, ses pas la menèrent en direction de l'humanoïde et elle sourit très froidement en ramassant un tissus déchiré sur le sol qu'elle mit sous son nez, accusatrice.

-T'as un gros problème avec les objets, ou bien ? C'est sûr que si t'arraches tout ce qui t'emmerdes, tu vas pas aller loin. M'étonnes pas que ta colocataire t'aies viré de chez elle...

Irritée, les mains sur les hanches, Aydin le jaugea sévèrement du regard, sourcils froncés. Lémure ou non, elle allait pas le laisser s'en tirer comme ça. Elle avait vu plus civilisée, comme créature.

Le caresser à rebrousse-poils ? Aydin n'en crut pas ses mots. Il osait lui dire ça, alors que ses actes précédents étaient à l'origine de son déchaînement de colère ? Le sourcil d'Aydin s'arqua de nouveau. Contrariée par ses paroles, elle l'était, évidemment. S'énerver de nouveau ? Ce n'était plus la peine. Pour une fois, elle avait décidé d'agir avec patience, bien que celle-ci fut assez limitée. De toute évidence, ce gars-là semblait assez dangereux et imprévisible, et le contrarier lui, du moins dépasser les limites était exclu, au risque de perdre ses vêtements. Ou d'exploser un lampadaire. Ou de la détruire elle. Elle avait beau se croire invincible, si ce grand gus s'en prenait à elle, elle allait pas en sortir indemne. Ça, Aydin avait été assez vive pour le comprendre. Pauvres lambeaux de fringues. Bizarrement, son attitude lui semblait tellement familière, mais aussi étrangère. Peut-être parce qu'elle avait aidé son meilleur ami lémure autrefois, bien que lui ne représentait pas du tout un danger.

Le demi-loup, qui maintenant n'avait plus rien de lupin, passa, à sa grande surprise, un bras derrière son dos pour la pousser elle ne savait où. Imprévisible, c'était bien le mot. Aydin ne releva pas le fait qu'il l'accusait d'être celle qui attirait l'attention, alors qu'un type en sweat dont l'étiquette du prix était encore présente, sans chaussures, crade comme pas possible, se faisait bien plus remarquer qu'une nana qui gueulait et frappait avec un sac à grands coups. A la place, son expression se fit agacée, pour finalement montrer une grimace bien épique. Bordel, mais il se lavait jamais ? C'était quoi cette odeur de... rah, c'était indescriptible. Elle ne le fit cependant pas remarquer tout-de-suite, préférant répondre à ses questions avant de l'insulter sur son odeur de mort. Aydin s'écarta de lui, n'aimant pas la proximité qu'ils avaient -et surtout pour avoir de l'air frais- et continua d'avancer à l'allure de la créature, mains dans les poches.

-... Ouais. Un ami. C'était un fennec, et il était bien plus doué que toi socialement. En même temps c'pas difficile, hein. Mais j'ai pas vraiment envie d'en parler, là. Un lynx aussi, une fois. Mais je l'ai plus jamais revu.

Aydin jeta un œil au corps du loup, puis détourna tout aussi vite le regard, pensant qu'il la prendrait pour une voyeuse. C'était juste pour vérifier son niveau de saleté. Et il semblait être assez haut. La jeune femme au teint basané s'arrêta et pointa son torse de son doigt long et fin.

-Tu pues. J'sais que c'est brusque de te dire ça comme ça, là, d'un coup, mais vraiment, va falloir faire quelque chose. T'as beau dire que j'attire l'attention, mais moi, c'était que pour quelques minutes. Toi, tous l'monde te regarde quand tu passes... et j'en ai vu plein qui plissaient le nez, aussi. T'aimerais, toi, avec ton museau -ou ton nez, peu importe-, sentir l'odeur humaine sale et immonde ? J'imagine que non. Alors, par pitié, quand ta coloc' te laissera rentrer chez toi, fais quelque chose, j'ai mal pour son odorat à elle.

Sans plus d'insistance, Aydin lui tourna le dos et reprit son chemin, redressant son sac sur son épaule. Allez savoir comment il allait le prendre. Elle s'en foutait, là, ce qui la préoccupait le plus, c'était le fait qu'elle avait toujours froid dans ce bled glacé. Grelottant un peu, elle se dirigea vers un café, dans l'optique de se prendre au moins un chocolat chaud. Qu'il la suive ou non, peu lui importait... quoique. Humain ou animal, ça s'faisait pas. La jeune femme jeta un regard sur le grand bonhomme, et lui proposa, juste pour faire genre.

-Tu veux quelque chose ?

Elle montra du menton l'enseigne du café. Puis se dit, bien trop tard, que ce n'était pas une si bonne idée que ça, après ce qu'il s'était passé au magasin de vêtements.

A peine entrés, qu'ils se faisaient déjà refouler à cause des foutus pieds nus du drôle d'individu lupin. Non mais sérieusement... Les gens avaient quoi, contre cette partie du corps ? Au pire, il les cachait sous une table, et le tour était joué... De toute manière, l'odeur de ses pieds pouvait pas être pire que celle de son corps tout entier actuellement. Aydin se pinçait l'arête du nez avec un rictus légèrement irrité, tandis qu'elle laissait faire l'autre grand bonhomme. Ce qu'elle ne devrait pas faire, d'ailleurs, il valait peut-être mieux qu'elle intervienne avant que ça se termine en hécatombe. Elle n'avait néanmoins pas pu s'empêcher de sourire à sa petite réponse effrontée sur le fait qu'il n'y avait pas sa taille. Le pire, c'était qu'il ne mentait même pas. Mais elle doutait que cette excuse ne marche auprès de la petite dame robuste. M'enfin... La demoiselle interviendrait seulement si elle voyait le gars grogner contre la serveuse. Elle en avait actuellement un peu marre de réparer ses incivilités. Comme si elle, elle l'était particulièrement. Comme quoi, on pouvait trouver plus fort que soi.

... Mais c'était déjà trop tard. Il se pencha vers elle, pour parler de ces gens à la table de gauche... qui s'offusquèrent, tout autant que la serveuse à côté. Aydin arrêta de se pincer l'arête du nez et jeta un oeil à la table qu'il désignait. Ah bah. C'était qu'il était pas un mauvais observateur, le bougre. Le gars là-bas, semblait s'être désormais se retrouvé dans une sale situation. Et les nanas désignées par le loup étaient effectivement de ces femmes tartinées outrageusement de maquillage pour ne pas laisser entrevoir les quelques rides apparaissant dès la trentaine, et sûrement, se renversaient une fiole de parfum sur la tronche avant de quitter leurs appartements. Bah. C'était le genre de femmes qui répugnaient Aydin, ce qu'elle ne voudrait jamais devenir par la suite. En même temps, on parle quand même d'une femme qui se fait passer pour un homme. Donc bon. Aydin croisa le regard du grand gus et esquissa un sourire amusé, même si la situation ne s'y prêtait pas. Elle s'en foutait, en fait, parce que pour elle, il n'était pas si loin de la vérité, et vu qu'elle méprisait ce genre d'individus...

-Ouais, t'as sûrement pas totalement tort sur la situation je pense. Mais évite de dire ces choses-là en publique... On va encore se faire vir...
-MONSIEUR !

Et voilà. En plus, c'était à elle qu'on faisait les gros yeux, comme si elle était la responsable légale d'un mineur qui... était sûrement proche de la trentaine, donc bien plus vieux qu'elle. La jeune femme leva les yeux au ciel. C'était agaçant. Depuis quand elle était devenue la tutrice d'une créature qui savait probablement même pas comment on utilisait une fourchette et un couteau ? Tout ça, ce n'était pas son problème... Néanmoins, la demoiselle finit fatalement par s'impliquer dans l'histoire, au vu de l'expression du gars, et de sa menace semi voilée. Le visage passif à la Crow, elle lui asséna une légère claque derrière le crâne en lui ordonnant calmement de se taire et de la laisser faire, puisqu'il n'était pas apte à se faire accepter dans un café même avec des pieds nus. Avec ou sans chaussures, Aydin était certaine que ça partirait en vrille, de toute façon. Elle s'adressa calmement à la serveuse.

-J'vois pas pourquoi vous le virez pour ça. Bon, j'avoue qu'il a envenimé la situation. Mais en fait, il est juste pas très doué en relations humaines. Trop honnête pour son bien, vous savez...
-Honnête ou pas, nous n'acceptons pas les gens sans chaussures ici. Encore moins les clients qui cherchent des noises à d'autres clients, en étant irrespectueux au possible.
-Ben, avouez qu'il n'avait peut être pas tort, aussi... M'enfin, si vous voulez des excuses, je pense pas que vous en aurez de sa part... Puis je m'excuserais pas pour lui, je suis pas sa mère, ou je n'sais quoi, ce que vous avez l'air de penser, apparemment. Bon, allez, laissez-nous nous poser dans un coin, puis on embêtera personne, je le... tiendrais en laisse. Si vous voulez.

Fière de sa vanne complètement naze, Aydin ne put s'empêcher de lâcher un sourire amusé qui la rendit davantage stupide et peut-être même soulignait son inconscience face au danger que pouvait représenter l'homme loup. Elle n'avait, après tout, pas encore testé jusqu'où pouvait aller son degré de sens de l'humour. En espérant qu'il ne le prenne pas mal. La serveuse la fixait, un sourcil levé. Apparemment, elle avait du mal à voir quelqu'un de raisonnable chez la jeune femme au teint basané. On voyait bien que cette situation commençait à lui faire perdre patience, et elle n'avait pas que ça à faire, de gérer une impertinente et un excentrique menaçant. Elle gronda, refusant en bloc de les laisser entrer, faisant un piètre barrage entre la salle derrière elle et les deux individus.

-Sortez. Ou j'appelle le responsable.

Aydin soupira d'agacement et lança un regard exaspéré en direction de l'homme loup, qui ne dura pas tellement longtemps, puisque la tronche de la serveuse valait quand même le détour. C'était de sa faute, ça. Bon, un peu de la sienne aussi, elle n'aurait pas dû le faire entrer dans cet endroit. Enfin... La jeune femme essaya encore de trouver un compromis, en balayant l'air de la main, blasée.

-Bon... Puisqu'on a pas le choix. A la limite, on peut vous commander genre, deux chocolats chauds dans des gobelets en plastique, et sortir ? Comme ça, on vous embêtera plus, vu qu'apparemment vous faites les tri sur votre clientèle.

Puis elle se tourna vers le lémure, pour lui demander son avis. Parce qu'elle n'allait pas le forcer à s'enfermer dans un lieu entouré d'humains, et d'une ambiance pleine d'animosité, car les clients les fixaient de manière désapprobatrice, tout comme la serveuse. S'il y avait trop de tension, ça avait des chances de mal finir, puisqu'il semblait agir à l'instinct plutôt qu'à la réflexion. Cela dit, elle n'était pas un exemple de sagesse non plus, puisqu'une personne normale se serait excusée dès le départ et aurait quitté les lieux sans faire d'histoires.

-Tu préfères rester ici, calmement -même si j'pense pas que ce sera si simple-, ou on se taille avec une boisson chaude en se promenant sans but dans la rue ?

A lui de voir s'il voulait tout exploser, ou repartir tranquillement avec un chocolat. On aurait dit un jeu à choix multiples qui auraient des conséquences sur la suite de l'histoire.

HRP: