Open your heart to death

« Le seul moyen de se délivrer d'une tentation c'est d'y céder. Résistez et votre âme se rend malade à force de languir ce qu'elle s'interdit. »
- Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray

Je suis de ceux qui se sont espérés plus puissants que cette séduisante voix; la soif. Le chant hypnotique de cette pécheresse s’est approprié mon corps lentement, pernicieux jusqu’à la moindre petite note. Une si belle romance empoisonnée ne peut que gagner le cœur d’un monstre, être d’épouvante sans aucun espoir de rédemption. Absurde est le combat contre cette idylle enivrante à laquelle mon âme répond, endormie par le plaisir que chaque baiser mortel me promet. Étancher ce désir de sang chaud est un processus tout aussi exaltant; choisir sa proie avec précaution, calculer chaque mouvement pendant la traque, deviner l’instant parfait où attaquer sera le plus jouissif. Pour mon instinct de prédateur grossier et cruel, l’affront est ce qui détermine une chasse parfaite ou gâtée. Planter mes crocs dans la chair d’une proie qui souhaite ma mort avec un duel acéré – ou déséquilibré puisque je ne suis pas l’un des plus empotés, bien au contraire – est le plus bel épilogue d’un riche repas mérité.

Ce soir, la chasse est ouverte. Tu as si aimablement proposé ton existence en offrande afin d’apaiser cette folie séduisante que je ne peux faire abstraction de tes traces fraîches dans la neige. Elles s’étendent sous mes yeux, source océane pétrifiée dans une marre de sang évanescente, seule vestige visible de ma vraie nature au milieu de ce manteau blanc. Plus je remonte le décor, plus ton innocence m’exaspère. La vive odeur de la lavande en note de cœur m’indique que la proximité de nos deux êtres n’est plus si loin. Le parfum aromatique qui se veut en note de tête apaisante nourri plutôt ma hâte de l’enterrer sous une montagne de neige, une fois que je t’aurai décapité. Tout cela commence fort bien.

Lentement, l’effluve piquant et désagréable qui m'agresse le nez m’indique que je m’approche dangereusement de toi. La confrontation est pour bientôt et l’anticipation se déferle sur moi en un délicieux frisson le long de mon dos, mourant au creux de mes reins. La chasse m’est aussi exaltante que le contact sensuel d’un corps enfiévré contre le mien. L’heure n’est pourtant pas à cette distraction forte plaisante lorsque je laisse s’étendre mes sens aiguisés bien au-delà de cette barrière d’arbres gelés. Ils se fracassent sur toi, à quelques mètres de mon avancé silencieuse, et je te devine près du lac éternel. Pour y avoir vécu maintes années comme l’ombre inquiétante d’un meurtrier en série, je connais la Cité Nordique comme étant ma deuxième maison après Kalel. Voudrais-tu t’enfuir que je te rattraperais sans conteste, ton odeur écoeurante d’imprégné en moi. Malgré cette caractéristique détestable qui t’es liée, j’en abolie sa teneur en goûtant l’air de ma bouche entrouverte.

Loup affamé entre les bois, j’avance discrètement en contournant avec leste les vieux troncs imposants qui ont survécu aux intempéries de l’hiver interminable. Héritage de cette terre de glace, ils me laissent progresser d’une aisance étonnante jusqu’à ce que mon regard perce enfin les ténèbres, s’abattant sur toi. Un inquiétant sourire carnassier dévore ma bouche dès l’instant où mon attention s’aimante sur l’arme que tu brandis devant toi. L’idée de faire face à un chasseur de vampire fait naître en moi un rire mesquin qui s’affale entre les arbres, jusqu’à mourir dans le vide. Tu es jeune, sans apparat, à la limite d’être délicat, et tu vas finir entre mes bras. Tu me fais presque pitié. Et parce que je ne suis pas un être sans intelligence qui fonce les yeux fermés, je laisse ma vigilance éveillée, prêt à réagir rapidement si tu t’avère plus menaçant que la piètre image de l’instant présent.

-À quoi penses-tu ? En es-tu à recenser les regrets qui nourrissent ta vie ou as-tu déjà atteint la résignation de ta mort imminente ?

J’arrête mes pas à la lisière des bois, envoûté par les battements de ton cœur et l’excitation de ta future réponse. Je ne ressens que très peu le risque qui émane de notre face à face, pour ne pas ainsi dire qu’il n’existe pas. Rapidement, la possibilité que tu sois un dieu meurt avant même d’avoir prit vie, tout comme la risible pensée que tu sois une créature de la nuit.

-Et si tu priais ? Peut-être qu’une divinité te viendra en aide, proposais-je alors qu'un rictus accompagnait l'horreur de mon rire glacial. Mais si j’étais toi, je n’y compterais pas.                

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Tu es exquis.

La peur, le dégoût et l’angoisse déferle en toi comme un tsunami d’émotions nuisibles à ta capacité de raisonnement. Bientôt, une seule pensée sera ta propre vérité; ta vie te sera volée par nul autre que moi. Tu me fais l’honneur de m’offrir chaque sueur de ces sentiments vénéneux, ceux-là même qui encourage le rythme perdu de ton cœur qui s’étouffera sous ma bouche gourmande et vorace de sang. Tout en toi nourri mon plaisir malsain de te saigner, mais il y a aussi cette malencontreuse envie de jouer avec ta personne. Ce caprice me prend parfois lentement, comme un poison persistant dans mes veines et que je t’infiltre à petit dose, jusqu'à ce que tu cède sous le poids de la douleur. Jusqu’à ce que ton corps se pétrifie d’horreur et que ta jolie tête d’humain impuissant accepte l’idée de trépasser dans cette neige d’une pureté apaisante.

Mes paroles agissent déjà sur chaque parcelle de ton être. Tu les respire comme une poussière toxique et j’en suis le premier satisfait. Fragile créature qui s’enlise si cruellement dans les sables mouvants de mon petit jeu pernicieux, sache que tu m’affuble d’une fierté à peine dissimulé dans mon rire polaire où neige de bestialité et givre d’aliénation dansent seulement en ton nom. Le mince masque de glace dont tu t’harnache m’intime pourtant un retour au silence lourd et mystérieux qu’inspire le lac gelé. Peu importe l’endroit, peu importe le moment, ma soif aura toujours l’ascendance sur ma raison.

Je suis déçu. Tes petits mots où s’absentent force et haine sonnent davantage en moi comme un abandon plutôt qu’une déclaration officielle d’hostilités. Diantre! Moi qui espérais au moins que ta force d’esprit allait contrebalancer la maigreur de ta maturité, j’en suis légèrement dépité. Devrais-je jouer plus crûment de ma noire répartie ? Sans aucun doute. Et c’est ce que je ferai dès que j’aurai balayé l’attaque que tu veux me porter en levant ta lame le premier. En te voyant ainsi charger, un merveilleux sourire d’allégresse consume mes lèvres givrées par le froid. Désireux de prolonger cet affront en faisant bouillir ton sang de rage, je bloque ta jambe de mon avant bras et esquisse une légère pression contraire pour te décourager à réitérer ta tentative. J’efface ma défense en m’accroupissant vers la neige, guettant ta lame du coin de l’œil, puis j’assène un coup de pied bien placé dans tes tripes. Puissant et précis, assez pour te faire reculer de plusieurs pieds si tu n’as pas les capacités pour l’encaisser ou rapidement le contrer.

-Je serais un illuminé de croire qu’une simple prière peut me laver de mes péchés, déclarais-je en te contournant, m’éloignant légèrement des bois. Si tu savais la quantité de litres de sang que j’ai bu, tu en vomirais ton dernier repas. Toutefois, je dois avouer que le sang d’un dieu manque à ma liste.

Un sourire coriace remplace l’ombre de mystère sur ma bouche.

-Ce soir, je vais me satisfaire de toi. Est-ce tout ce que tu as à me donner avant que l’envie de jouer s’éteigne ?  

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Stupéfiant…

De tous les phénomènes surnaturels et fantastiques que mon regard acerbe a pu capturer, le changement d’apparence restera toujours ce qui m’interloque le plus. Observer le corps emprunter une nouvelle enveloppe charnelle, bestiale ou humaine, est une métamorphose impressionnante. Ce que tu m’offre comme spectacle n’est pas à part de ce j’ai déjà eu l’occasion de contempler, mais je prends ce temps pour apprécier la confrontation qui va s’en suivre. Le petit échange que nous venons d’avoir à la lisière des bois n’était qu’un amuse-gueule. Rien qu’une bouchée alléchante du combat que nous nous apprêtons à mener. À mesurer la force avec laquelle tu m’as repoussé et que tu as planté ton épée dans la glace du lac éternel, j’espère franchement une lutte salace. Puis il y a cette douce impression qui s’est lentement logée en moi; tu n’es ni humain, ni sorcier, ni vampire. Le crépitement de ton âme me fait penser à celle des dieux, mais je la juge trop faible pour me réjouir d’une telle conclusion. De plus, n’es-tu pas trop faible pour être un dieu ? Pauvre chose. Tu n’as fait qu’attiser mon envie de goûter ton sang et d’engloutir ta vie.

Des paroles échangées, des sourires voilés, une colère bouillante en toi et une excitation malsaine en moi. Tout pour nous promettre un face-à-face agréable, si seulement tu as autant l’adresse de l’épée que la haine de ton regard. Pour la force de tes mots, je repasserai; ils témoignent bien de ton inexpérience à manipuler et à torturer ton adversaire mentalement. À la place, tu démontre une impatience à commencer cette bataille et je ne peux qu’y répondre en cessant de te tourner autour, piqué sur la glace devant toi, à quelques mètres à peine. Jouons.

-Parfait. Laisse-moi imaginer comment je te dévorerai, déclarais-je avec un sourire félin sur les lèvres, avant de faire une courte pause. Ma dernière victime était ce jeune troubadour de la Cité Marine, à peine perdu sur le long chemin menant jusqu’ici. Ce fût si facile de le convaincre de me faire confiance que j’en suis encore flatté. Le moment le plus agréable est sans aucun doute celui où j’ai planté mes crocs dans sa chair.

Mon sourire devient carnassier, horrible, alors que mon regard sanguinaire s’amuse à te détailler. Dégoût ? Surprise ? Haine ? Il ne rate aucun trait qui trahi ton émotion.

-Encore et encore, alors même que je lui répétais qu’il n’y avait point de douleur, de frayeur et de panique à nourrir en lui. Le combat de sa raison et de son âme entre mes mains était si délicieux à lire dans son regard… Mais le clou du spectacle a été de voir mon emprise brisé par son esprit et d’entendre son hurlement déchirer la nuit. Sa vie était si exquise, tout autant que ses supplications désespérés pour que j’épargne sa vie.

Ma mâchoire s’ouvre vivement pour se refermer dans un claquement de dents sonore. Tout pour te choquer, tout pour affaiblir le contrôle que tu as sur toi-même. Alors que tu attaque de nouveau le premier, je suis fier de t’attirer vers la noirceur, tout aussi facilement qu’un loup affamé à qui on présenterait un morceau de viande. L’instinct de survie de l’espèce humaine est si fort que je m’en trouve gravement amusé. Une vilaine partie de plaisir à tes dépends, voilà ce qui débute lorsque tu charge vers moi avec ta lame à la verticale, prêt à me lacérer le corps sans aucune pitié. Mon visage déformé par la sauvagerie et la sombre satisfaction d’éviter avec aisance ton mouvement vers la gauche, je bloque ton bras du mien, dressé comme un mur de pierre entre nous, puis lève ma main droite pour t’égorger. Un peu d’entraînement ne te ferait pas défaut. À peine ais-je le temps de caresser cette pensée que ton bras échappe à ma défense pour venir se loger en coup de coude dans mes côtes. L’effet de surprise me coupe le souffle et la douleur lancinante efface tout divertissement en l’espace d’un millième de seconde. Ma réplique est instantanée malgré le mal qui m’électrifie le flanc; une main plantée avec voracité dans ton avant-bras et l’autre sur ton biceps, je n’ai aucune hésitation à tirer brutalement vers moi. Un craquement horriblement délicieux s’élève dans la nuit et je me réjouis déjà de savoir ton épaule déboîtée. Ton coude dans mes côtes cesse sa pression et du coin de l’œil, le scintillement de ta lame qui s’approche me fait rapidement réagir. Je redonne la liberté à ton corps affaibli, reculant assez pour bloquer ton bras attaquant d’un coup de pied bien placé dans le creux de ton coude. Ton épée glisse à quelques pieds de nous et j’écrase avec animosité ta main sur la glace.      

-Vas-tu prier, maintenant ? sifflais-je en te regardant de haut.

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À te tortiller comme ça, tu m’aguiche.

T’avoir à mes pieds, tout en panique, est grisant. J’ai l’audace et le sombre plaisir de presser davantage sur ta main pour t’intimer le calme.  Un délicieux frisson attaque mon corps de la tête au pied, s’infiltrant jusque dans les profondeurs de mon âme. Jouer me procure une exaltation particulière, une sensation incomparable à ce que je connais. La traque est une pure excitation sauvage, un instinct de chasse qui domine avec plaisir mon esprit, ma tête, mon être tout entier. Pendant ces minutes qui deviennent parfois d’alléchantes heures de camouflage, je ne pense qu’à ma proie. Elle devient mon seul et unique but, tout ce que je veux avoir en cet instant. Ma seule préoccupation. Pour oublier tous mes autres problèmes, m’amuser ainsi est le meilleur des remèdes. Comme la religion est l’opium du peuple, la traque est ma drogue du soir. Une fois la nuit tombée, plus personne n’est en sécurité.

Tiens, intéressant. Tu as arrêté de te débattre et en plus, tu me réponds. Un beau bonus que tu me donne là. Une belle envie que tu attise, bien plus que tout le reste. Je m’accroupie avec enthousiasme, un sourire déformé sur les lèvres et mon pied écrasant toujours aussi fort ta main. Pauvre chose… T’aurais-je cassé les doigts ? Le poignet ? L’épée à ma gauche a disparu, mais j’ose espérer pour toi que tu n’es pas droitier. De toute manière, cela ne te servira plus à rien d’ici quelques minutes. Tu reposeras sur la neige, la tête détachée de ton corps, des veines vidées de sang jusqu’à la dernière goutte. Et un peu plus tard, tu seras enseveli sous une bute de neige, à la fois dans la montagne et dans les bois.

-Dès que j’en aurai finis avec toi, je compte bien aller m’amuser un peu, répliquais-je en empoignant tes cheveux sans grâce pour t’obliger à me regarder. Une dernière volonté que je ne t’accorderai probab –

Je me tais. Une soudaine énergie envahissante, écrasante, plane dans l’air. Une présence dominante, quoi que pas assez pour m’intimer une peur brute. Cela sonne davantage comme un beau défi à relever. J’aurais peut-être du avoir peur. J’aurais peut-être du me méfier davantage en ressentant l’approche rapide d’une créature qui n’avait jamais croisé ma route. Un peu plus de prudence m’aurait incité à relever la tête pour voir la menace et ainsi éviter cette bête inconnue qui me percute de tout son poids. À peine ais-je le temps de vider mes poumons d’air, estomaqué d’une douleur vive, qu’un hurlement monstrueux s’échappe de mes lèvres. Ce n’est en rien comparable à la douleur qui me transperce le flanc. J’ai l’impression que le feu dévore ma peau où, j’ai horreur d’en être conscient, un dard est planté. Par tous les enfers, quelle est cette créature ?! Soudain, tout devient secondaire mis à part ma survie et la métamorphose me semble une bonne idée. Seulement, il y a cette sensation d’étourdissement qui me frappe déjà de plein fouet et je doute avoir les capacités pour me vautrer dans mon corps de loup. Laissant l’instinct animal ressurgir, je grogne furieusement à la gueule de ce qui ressemble à un lion ailé et lui ferme le clapet de mes deux mains, poussant vers l’arrière pour qu’il se dégage et se repli.

-Dégage ! rugissais-je.

Je ne suis peut-être pas dans mon meilleur état, légèrement engourdi par une chaleur grimpante, mais je me sais apte à répliquer assez durement pour causer des dégâts. Malheureusement, je ne suis pas en position pour mener le jeu sans crainte.  

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