I can't explain

Pour la Xième fois, je prends une immense respiration. Une grande goulée d’air s’infiltre par mes narines, descend dans ma gorge et gonfle mes poumons. Mon thorax s’élève et je relâche d’une traite, tout en silence. C’était peut-être qu’une inspiration exagérée pour certain, mais pour mon système olfactif plus sensible que celui d’un humain lambda, c’était le nirvana. En quelques secondes, j’ai goûté aux gâteaux chocolatés de la boutique en ville; j’ai grimacé au parfum trop entêtant du caissier du dépanneur; j’ai savouré le bonheur du sable fin sur ma peau. Tout le plaisir d’être inhumain. Ça n’a rien d’extraordinaire pour une créature qui reprend souvent contact avec sa vraie nature, mais pour le dragon que je suis, il en est tout autre. Reconnecter avec mon essence après de si longues années m’a rafraîchit l’esprit, l’âme et surtout, les sens. Rien de miraculeux, mais tout à l’honneur.

Marchant lentement sur le bord de la route, je répète l’expérience à en perdre l’odeur du chocolat et du parfum bon marché. Une fragrance semble vouloir prendre leur place, mais elle est si légère que je l’avais à peine remarqué. Maintenant que toute mon attention est tournée vers elle, je comprends qu’elle est là depuis un moment. De plus, elle ne m’est pas étrangère. De mes yeux aussi clairs que de l’or, je scrute la plage à ma droite, à la recherche de l’ultime source. L’océan est tranquille, quelques vagues s’échouent à un rythme régulier sur le sable fin. Le soleil se cache derrière l’horizon, capturant ses derniers rayons par la même occasion. Et le ciel a beau être parsemé de fins nuages, je sais qu’il ne tombera pas une goutte ce soir. La pluie est si rare à Marina, quel dommage. Quoi qu’il en soit, tout est calme. Pour un samedi soir, même la ville à ma gauche semble endormit. Il n’y a que moi qui se promène dans la rue, sac de dépanneur en main et pack d’alcool dans l’autre. Joli. Ça fait très Nidhögg, gardien des enfers ! Après tout, à passer autant de temps parmi eux, je viens à aimer leurs hobbys diversifiés.

C’est lorsque ma maison se trouve à une centaine de mètres à la marche que je te vois comme une surprise des moins inattendues.  Je comprends enfin pourquoi ce parfum me titillait autant, tout en passant légèrement inaperçu. La loi de la discrimination sensorielle, aucun animal ne peut y échapper. Maintenant que l’amusement me fait sourire, je cligne des yeux pour faciliter le passage de mes iris reptiliens à ce mélange spécial de bleu et de doré. Dans tout les cas, une apparence plus humaine. Et tout en marchant vers toi, je me remémore notre rencontre riche en sous-entendus et en sensations fortes. Trois constats s’imposent naturellement à moi. Je ne connais pas ton nom. Je suis incertain de ta nature. Et je suis complètement inconscient de l’étendue de tes pouvoirs. Pourtant, rien ne m’empêche de venir vers toi et de t’accueillir avec le sourire taquin, appuyé par un regard intéressé.

-Tu te mets au harcèlement, maintenant ?

Franchement, qu’est-ce qui me surprend le plus ? Que tu ais réussis à trouver où je demeure ou que tu te tiennes devant ma baraque ? Je gigote un peu des mains pour reprendre le sac plus confortablement, puis mon regard fait un saut rapide jusqu’à la boisson avant de se reposer sur toi. Pourquoi pas.

-J’allais me faire une soirée gaming, dis-je en marchant vers la porte d’entrée. Tu viens ?

Tout bonnement. Comme ça.
Toi et moi, je pense qu’on a pas mal de choses à se dire…                      

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I can't explain

Tu te fous de moi, là. Right ?

Je suis peut-être réchauffé par cette ambiance de légèreté et de simplicité qui se dégage de notre face-à-face, mais je suis loin d’être imbécile. Personne ne croirait ce que tu me raconte, mais je te laisse gesticuler et babiller comme un gamin qu’on prend la main dans le sac de biscuits au chocolat. Le pire dans tout cela, c’est que je prends plaisir à te voir dans cet état. Ton léger malaise indique clairement que tu es conscient de ma présence et, par le fait même, que tu n’as pas oublié notre dernière discussion. Seulement avec ça, je te dois bien la faveur de jouer le jeu.

-Quelle coïncidence !

Peut-être que j’aurais dû y aller moins fort sur la dose d’ironie. Mais le grand sourire que j’affiche et la lueur de malice dans mon regard devraient être suffisants pour te faire comprendre la faiblesse de tes mots. Piètre menteur que tu fais ! Tu as tout de même réussi à attiser davantage ma curiosité sur ta personne et c’est sans trop d’hésitation que je t’ouvre une porte sur une facette de ma vie personnelle. Se tenir mutuellement compagnie en s’amusant comme des adolescents devrait être propice aux échanges. Du moins, c’est ce que j’espère. Mine de rien, le désir de capturer les réponses aux questions fondamentales sur ta personne me taquine; ton nom, ta nature et… Argh.        

So cute…

C’est ce qui me traverse l’esprit en te voyant rire aux éclats pour la deuxième fois. Les premières notes joviales m’ont drôlement surpris, mais ce n’est pas de taille devant la frayeur que je t’ai faite tout à l’heure. Œil pour œil, dent pour dent ? J’en prends note, crois-moi sincère ! La prochaine fois, je serai prêt à encaisser cette cascade de rigolade et je profiterai de ce moment où la spontanéité irradie de ta personnalité. Même si ça ne dure qu’un court lapse de temps, l’impression que tu laisse sur moi me plaît. Un mélange de surprise, de soulagement et… d’affection. Rien à voir avec de la pitié; cette émotion n’a jamais eu de sens pour moi et en tant que créature de vie et de mort, je ne le permettrai jamais. Seulement, la première et dernière fois que je t’ai vu, je ne te croyais pas capable de rire ainsi - tu m'aurais annoncé ton coming out que j'en aurai été moins ébranlé. Ce rire spontané est d’une beauté enivrante. Qu’il soit d’une note de malaise ou d’hilarité, je me surprends à vouloir l’entendre davantage. Elle semble loin, cette nuit où tu souriais avec mélancolie et désolation.

-Ça t’arrive souvent de dire non en signant le oui ? Prends ça, ajoutais-je en souriant, te donnant la caisse de bières.

Tout en ouvrant la marche, je fouille dans ma poche de jean pour en retirer un trousseau de clés. Je sens ta présence derrière moi, ce qui m’inspire une expression bienveillante. Au final, même si tu es apeuré ou méfiant, tu n’es pas quelqu’un qui se défile, hm ?

-Fais comme chez toi, m’exclamais-je en t’invitant à me suivre à l’intérieur.

Je referme la porte derrière toi et me déchausse négligemment. Je prends rapidement la caisse de bières de tes mains et la dépose avec le sac sur la table à manger un peu plus loin. Pour moi, cet endroit est le paradis pour me reposer. Ni trop grande ni trop petite, cette maison aux dimensions standards détient pourtant un charme qui m’apaise. Dotée d’énormes fenêtres, elle affiche une grande diversité dans les matériaux de finition; bois, céramique, pierre, contreplaqué, verre, cuir, métal, voilage et pierres précieuses. Pourtant, rien ne vaut la merveilleuse vue sur l’océan que nous donne la fenêtre du salon.

-C’est cochonneries et alcool pour ce soir, dis-je en disparaissant d’emblée dans la cuisine.

J’en reviens avec deux gros bols en verre dans lesquels je vide un sac de croustilles et une grande quantité de jujubes.                    

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