What did you do in the war, Dad ? - NOBODY

What did you do in the war ?

« Mauvais comme le temps
Quand le temps est mauvais »

Tu venais souvent ici Griffin. Le désert avait quelque chose de rassurant même s'il n'appelait aucun souvenir. Rien ne te liait à cet endroit, à ce sable immonde qui s'infiltrait partout et empêchait quasiment toute vie de proliférer. Tu n'avais pas d'attaches avec le désert, aucun lien émotionnel. Pourtant tu venais souvent ici Griffin. Pourquoi ?
Tu ne sais pas répondre. Peut-être un jour faste aurais-tu argumenté contre toi-même en de vains dialogues pour expliquer que chaque lieu, aussi hostile soit-il a des valeurs à apporter à l'âme des êtres quel qu’ils soient. Ce n'est pas un jour faste.
Le ciel est orageux et d'ici quelques temps il y aura une tempête de sable, c'est dans l'air, un air lourd, suffocant qui prend la gorge comme une femme étranglant de désespoir et de rage, les yeux mouillés et les lèvres tordues, étranglant encore et encore, plus fort l'homme traître.
Dans les tempêtes il y a une sorte de contrôle absolu d'une fureur sans nom qui te fascines. Elles hurlent à la mort et se déchaînent sur le monde, elles inspirent une terreur infinie et les hommes ne peuvent que prier pour qu'elles s'arrêtent.
Tu te souviens de ton dieu Griffin, de la manière qu'il avait de les regarder avec un sourire. Il aimait la dévastation parce qu'elle appelait du nouveau.

Mais toi Griffin, fasciné par l'orage qui gronde au loin et le vent qui se lève, tu ne peux empêcher ton cœur d'être inquiet. Tu as su dévaster ton monde personnel et y résister mais ce qui se passe en ce moment, le Roi Mad qui nargue, le Roi qui prépare un mauvais coup et l'annonce – il l'annonce ! - sans se cacher car il sait qu'aussi puissant soient ceux qui luttent, ils ne valent rien face à lui.
Et tu penses à Shiva, le destructeur de démons, et tu penses à ces dieux ratatinés, à ces dieux faibles, aussi faibles que vous, et tu penses à leurs grandeurs, à leurs puissances et tu penses que l'homme cesse de croire, cesse de rêver et préfère faire comme celui d'à côté.
Exposé au sommet du Phare, à l'ouest du tour de ronde, face au vent, tu sens ton cœur se mettre à gronder en accord avec le temps.

Il y a de la rage, rage d'avoir été abandonné, rage d'être impuissant, de ne pas pouvoir les ramener tous. La saison du tourisme est finie, les fidèles s'écaillent, s'éparpillent effrayés par les rumeurs au sujet des monstres et des dieux, ils ne veulent pas être liés aux événements. Ils veulent être bien calfeutrés derrière leurs volets et leurs illusions. Tes pères ne reviendront pas, pas s'ils comptent sur la foi des hommes. C'est une vérité qui t'écorche plus âprement qu'aucune trahison n'a pu le faire.
Le vent se lève, sans espoir, comment faut-il vivre ?
Le phare grince sous les premiers assauts des vents et toi Griffin tu te laisses aller. Il n'y a personne ici et les gens racontent que l'endroit est maudit, qu'il s'y passe des choses étranges les jours où le temps est mauvais.
Et ils ont raison.
Tu relâches ton contrôle, ton satané contrôle. Et tes pouvoirs partent s'éparpiller aux quatre vents et fracasser ce qui rencontre leur route. Demain tu regretteras peut-être les dégâts, les roches éclatés, le verre strié par le sable, les insectes déboussolés, tournant en rond et ceux morts.
Pour l'instant tu te laisses aller pour la première fois depuis longtemps et c'est comme une vague fracassant ton intérieur et l'éjectant d'une manière horrible et intolérable.

Il n'y a plus de Griffin l'homme tranquille, à l'écoute, plus de Love l'assassin qui veille sur les villes endormies, il n'y a plus que toi au contrôle brisé, seul face au désert, avec le sable à briser tes cordes vocales contre le vent. Tu hurles les lambeaux lacérés de ton être, de ce que tu as été, tu n'as jamais été bon mais tu auras essayé d'être juste – et tu essayes encore.
Mais qu'est-ce que la justice ?
Tu voudrais crier : « MAIS QU'EST-CE QUE LA JUSTICE ? »
De ton corps il ne sort que des sons inarticulés, des sons de douleur et de doute, incapable de penser logiquement, au milieu du sable immonde qui s'infiltre partout et t'étouffe, tu te sens vivant et plus rien d'autre ne compte que cette sensation enivrante qui monte comme une crue brûlante.
Tu voudrais hurler et vibrer comme ça jusqu'à la fin des temps ; avoir l'impression de vivre vraiment quelque chose.
Tu agrippes avec toutes tes forces la rambarde et c'est toutes les pierres du phare qui s'ébranlent de ta colère. Chacun de tes gestes déclenche une réaction en chaîne où chaque déflagration de dunes et de pierres alentours appelle les tourbillons de sable de la tempête.
Elle est là et tu es en elle, aussi furieux, aussi meurtrier.

Il n'y a plus que le phare qui tremblent et se répercute en toi, la strangulation du sable, la brûlure larmoyante de la poussière et ta voix qui psalmodie dans un chant d'épouvante la danse violente des éléments.